Dissonances : lire comme on déambule

 

Corinne Le Pevrier

 

On lit les revues différemment suivant les formes qu’elles adoptent. Ce n’est pas la même chose de lire une revue de 300 pages, annuelle, imprimée sur un très beau papier, qu’une gazette de vingt, qui paraît très régulièrement. Leur objet, leur démarche, leur conception, les attentes qu’elles impliquent sont bien différentes. On n’y circule pas de la même façon, on y cherche pas les mêmes choses, les mêmes textes. On les fréquente d’une manière adaptée en quelque sorte, chaque fois particulière.

 

Dissonances fait partie de ces revues de grand format, brève, saisonnière, de taille intermédiaire, dans lesquelles on se promène comme au hasard. Chaque numéro, organisé autour d’un thème, propose des textes poétiques assez disparates. C’est une revue qui organise une diversité. Les textes sont inégaux, de formes diverses. Et c’est au gré d’une lecture passagère, ponctuelle, qu’on y trouve un texte, quelque chose qui accroche, qui retient.

 

La 37e livraison de la revue qu’anime Jean-Marc Flapp, propose comme thème : « Impur ». On notera en premier lieu que les illustrations de Corinne Le Pevrier qui l’accompagnent sont assez frappantes. Sorte de montages marqués par le surréalisme – on pense aux célèbres montages de sa grande époque –, ils apportent une dynamique au numéro. Chacun accroche par un bout de la revue… C’est fonction de ses goûts. Et la revue est faites aussi pour être picorée. On y trouve parfois une forme de connivence. Ici, c’est l’entretien avec l’écrivain Marc Graciano qui attirera. Auteur d’une œuvre très singulière parue chez José Corti, il propose à la fois un univers très reconnaissable et un rapport à la langue qui en promeut l’épaisseur. Violents, déroutants, ses livres font partie des plus stimulants de la dernière décennie. On pourra lire ses deux premiers livres, particulièrement forts : Liberté dans la montagne et Une forêt profonde et bleue.

 

Dissonances publie un entretien assez court, qui procède un peu du tac au tac, avec lui (qu’accompagne une photo très surprenante et émouvante). Graciano confie y écrire « pour chanter la beauté du monde », parce qu’il « vaut la peine que l’on écrive pour lui ». La revue s’intéresse plus à son parcours, à ses réactions qu’à une discussion sur l’œuvre elle-même. C’est une conversation assez amusante, décalée. C’est assez drôle et cela donnera l’occasion de découvrir un écrivain qui vaut la peine. Comme dans chaque numéro on trouvera des textes d’auteurs que l’on ne connaît pas, de formes et d’influences très diverses. Des proses assez denses, comme des poèmes brefs. On peine parfois à y trouver pied, c’est sans doute pourquoi on lit cette revue comme on déambule, un peu au hasard, comme lorsque l’on marche le regard accroche un détail sans qu’on sache vraiment pourquoi.

 

On retrouve les sections habituelles de la revue, la sorte de bibliographie des collaborateurs qui recommandent des textes, des critiques – on notera celles consacrée au livre de Philippe Barrot (directeur des Chroniques du çà et là) Sol perdu par Tristan Felix ou de Nicolas Cavaillès Rotroldiques par Christophe Esnault. Là aussi, c’est le hasard des goûts, des parcours de lecteurs, l’affirmation d’une subjectivité qui importe. Dissonances est une sorte de laboratoire dans lequel on mène des expériences (qui réussissent ou échouent, peu importe au fond) qui font partager une énergie très positive. C’est sans doute l’un des rôles des revues que de les mener, s’y essayer, proposer des formes, partager des désirs, trouver des échos chez chacun des lecteurs.

 

Hugo Pradelle