DO-KRE-I-S n° 4 : de traces en traces

 

 

Au dos de ce nouveau DO-KRE-I-S, quatrième du nom, il y a une liste, longue et fournie. Là défilent les noms de la bonne centaine de contributeurs de ce numéro annuel ainsi que leurs pays d’origine, des îles (la Réunion, la Guadeloupe, Maurice, Mayotte…) au Mexique, en passant par le Mali, les États-Unis, la Tunisie et tant d’autres. Sans oublier Haïti, bien sûr, puisqu’il s’agit du port d’attache de cette opulente publication. Oui, cette quatrième de couverture vaut répertoire-mappemonde. Avant même d’ouvrir la revue, cela dit donc tout de suite quelque chose de l’effervescence qui règne dans ces pages, toutes entières sous le signe du brassage et du mélange des gens et des genres. Après le voyage, le miroir et la marge, fils conducteurs des précédentes parutions, c’est le thème de la trace, dans cette livraison-ci, qui braque toute l’attention : « Rares sont les mots qui, comme celui de trace, auront remué avec autant de vigueur les littératures de la Caraïbe puis, par extension sismique, celle du globe entier », souligne l’universitaire Estelle Coppolani en ouverture.

 

Autour de ce sujet, les uns et les autres font pot commun, chacun y apportant sa part, poétique, littéraire, artistique ou réflexive. Écrits (dont un certain nombre de fragments inédits) du poète réunionnais Boris Gamaleya (1930-2019) – son œuvre est décrite par Patrick Quillier comme « une gigantesque spirale en mouvement, s’élevant à l’infini, tout en puisant avec constance au creux de ses propres fondations une énergie à tout moment renouvelée » –, témoignages-chroniques (de confinement notamment), essais (par exemple sur la place des sites historiques, en Haïti, relevant du passé colonial), récits (à l’image de l’initiation poétique, sous le signe d’Eluard, d’un jeune homme), prises de position polémiques (à propos du déboulonnage de la statuaire coloniale) nous sont ici proposés entre autres choses, autant d’occasions de découvrir la diversité et la richesse des cultures et des problématiques créoles à travers le monde. Belle place est faite également aux travaux artistiques en tous genres (photos, dessins, design, sculptures, techniques mixtes…).

 

La poésie est très présente aussi, on l’a dit, et ce dans une grande variété de tonalités. « Sillons ardents de nos peaux travaillées par les matins insoupçonnés d’amours » (Françoise Foutou), « sillage du silex » (Hugo Fontaine), « poussières d’aube », « débris de bruits qui tancent des corps qui balancent », « épitaphe de sang » (Junior Borgella), « empreintes lunaires » (Marie-Ange Claude), « charbon noir sur une page blanche » (James Noël), «  sève cristallisée », « plumes rouges dans la neige douce » (Oïjha)… ainsi se disent et se donnent successivement, tantôt vestiges tantôt vertiges, quelques-unes des traces poétiques dans ce numéro dont la couverture présente la photo d’un mur couvert de graffitis, traces encore, à Sao Paulo. Reflets de l’histoire et regards sur l’époque ou l’intériorité, DO-KRE-I-S nous porte – et nous transporte géographiquement – par ses mots, par ses images, par les échos qui vont des uns aux autres. C’est une dépaysante et enrichissante expérience de lecture que nous offre cette généreuse publication.

 

Anthony Dufraisse