Esprit de la NRF es-tu là ?

 

Nouvelle nouvelle nouvelle Nouvelle Revue Française… Combien de vies la NRF aura-t-elle connues ? Un certain nombre, assurément, rivalisant en cela avec la proverbiale capacité de renaissance de nos amis les chats. Depuis 1909 la revue traverse le temps, bon gré mal gré, cherchant à persévérer dans son être tout en se renouvelant avec, à sa tête, de plus ou moins nouveaux visages.

 

C’est ainsi qu’en mars 2022 on quittait le n° 653 de la revue, alors mensuelle, avec Michel Crépu aux manettes (pour mémoire, il était auparavant au gouvernail de la non moins vénérable Revue des Deux Mondes). Six mois plus tard, avec l’arrivée de l’automne et après une (trop) discrète passation en coulisses, on découvrait dans le n° 654 une toute autre revue, trimestrielle devenue, sous la direction désormais de Maud Simonnot. « Parce que nous ne pensons pas que les revues appartiennent, comme on l’entend parfois, à une époque révolue, et parce que bien au contraire nous croyons au pouvoir incomparable de la littérature à dire une part importante de nous-mêmes en ces temps mouvementés et à participer au débat d’idées, nous avons eu à cœur de faire vivre la plus célèbre revue littéraire d’entre toutes, dans un nouveau format et un nouvel esprit », écrit la nouvelle maitresse de cérémonie dans un éditorial que l’on aurait d’ailleurs aimé un peu plus nerveux et consistant.

 

 

Exceptées ces lignes en guise d’engagement réaffirmé, il a à notre goût un côté un peu trop présentation-commentée-du-sommaire. Si la version précédente, impulsée par Crépu, nous plaisait bien, cette nouvelle mouture nous séduit non moins. La maquette a complètement changé : du format à la couverture en passant par les pages intérieures, tout a été revu, repensé, revisité. Le rubriquage évolue également, sans grands bouleversements toutefois en comparaison de ce qui existait avant : on retrouve des dossiers (un premier ensemble sur la nature accueillant notamment des contributions de Erri De Luca, Christophe Bataille, Erik Orsenna, Jacques Réda* ; un second sur Proust avec entre autres la participation de ces deux pointures que sont Jean-Yves Tadié et Antoine Compagnon), une conversation (avec Le Clézio) ainsi que des « critiques libres » (des auteur.es – Claire Berest, Philippe Bordas, Laurence Cossé, Camille Laurens… – parlant librement d’événements culturels ou de livres).

 

La question qu’on doit évidemment (se) poser, c’est : l’esprit NRF est-il toujours présent, toujours vivant dans ces évolutions successives de la revue ? Encore faut-il s’entendre sur ce qu’est cet esprit. S’il s’agit d’une certaine façon d’être à cheval entre passé et présent, alors oui, l’esprit demeure. De fait, d’une NRF l’autre, on retrouve cette même volonté de regarder dans le rétro (sans – trop de – nostalgie) en reprenant sans cesse, avec passion et inspiration, l’inépuisable patrimoine des œuvres et des grands classiques,  tout en suivant, avec curiosité et appétence, la littérature contemporaine en train de se faire. En ce qui nous concerne, on trouve que cette nouvelle formule perpétue bien l’esprit maison, qu’elle fonctionne, oui, et on espère que la maison d’édition, Gallimard est-il besoin de le rappeler, donnera à cette revue nouvelle version le temps de (re)trouver son public et de faire ses preuves.

 

Incipit du manuscrit de « La Recherche du temps perdu » de Marcel Proust (Warburg)

 

Si l’on doit détailler, pour finir, un seul de nos coups de cœur de lecture dans ce numéro, alors sans hésiter il faut nous attarder sur le très beau texte que signe Yannick Haenel dans le cadre du dossier Proust précédemment mentionné. Avec finesse et sensibilité, il y raconte comment il a vraiment découvert La Recherche, c’est-à-dire via les écrits de Georges Bataille. Comment la lecture du second (L’Expérience intérieure en premier lieu) l’a introduit dans l’œuvre proustienne suivant un effet miroir : « C’est donc Bataille qui m’a donné Proust – et j’ai donc lu Proust à travers Bataille (…). Il y a une fraternité psycho-extatique qui lie Bataille à Proust, et qui s’est condensée dans la transmission de leur lecture commune. Quand je lis Proust, je devine Bataille en filigrane ; et quand je lis Bataille, j’entends le ruissellement proustien au fond des phrases. » Dans une brillante autoanalyse qui vaut anamnèse, Haenel dit ainsi son enchantement infini à lire Proust, sa fascination intacte et intense pour La Recherche qui fait office pour lui d’inépuisable source d’inspiration. « La littérature invente à chaque époque une nouvelle manière de respirer : “rester seul en extase’’ [Haenel cite ici Proust] en humant l’invisible est la clé de l’écriture. »

 

Anthony Dufraisse

 

Coordonnées de la revue

 

* Jacques Réda qui fut, on s’en voudrait de ne pas le signaler ici, l’un des prédécesseurs lointains de Maud Simonnot ; il a dirigé la NRF de 1987 à 1996.