Faire la révolution? La question court d’études, en documents et comptes rendus sur près de 200 pages dans le dernier numéro (13), gansé de rouge, de la revue Aden, Paul Nizan et les années 30 ? Mais, en ces années 30, quelle serait sa forme parmi les différents courants de la gauche qui la portent et sous la menace de sa captation par une droite non moins radicale? Quelle Révolution depuis qu’à l’est de l’Europe le ciel s’est embrasé ? Puis quand le pacte germano-soviétique laisse aux rêves le goût de cendres? Quand en Espagne, c’est l’espoir, le combat éperdu, puis le deuil ? Pour une large part, le travail de cette livraison consiste à suivre le cheminement de figures intellectuelles, leurs aspirations et leurs doutes, leur engagements comme leurs questions : Simone Weil («chérir et critiquer la Révolution») ; Emmanuel Mounier pour une révolution personnaliste ; l’engagement précoce, la conviction marxiste, le soutien à la république espagnole, les déceptions de la gauche au pouvoir figeront en communisme orthodoxe le philososoviétisme de Valentin Feldmann, philosophe tué par les nazis en 1942. Et ces quatre anarchistes – Pierre Besnard, Nicolas Lazarevitch, André Prudhommeaux et Charles Ridel – qui ne cessent de mettre la pensée de la Révolution au travail, en particulier dans leur revue Révision (prégnance des revues dans ce numéro) : « Il est temps de réviser l’ensemble de nos conceptions sociales et révolutionnaires par une étude fraîche de la réalité d’hier et d’aujourd’hui » ou encore « Il serait temps de dire ce que l’on pense et de penser ce que l’on dit. Première révolution à accomplir chez les révolutionnaires ». C’était en avril 1938 : déjà bien tard dans le siècle…
Échappée dans le romanesque (Louis Guilloux et Le Jeu de patience) et nombre de textes retrouvés, souvent puisés dans des revues, nourrissent la «révolution permanente» d’Aden : Louis Marty dans les Cahiers du bolchévisme, E. Bauer dans La Lutte des classes, revue théorique mensuelle de la Ligue communisme, Louis Leibrich dans Esprit : « Le mot de révolution ne nous fait pas peur, celui de réformisme ne doit pas nous effrayer davantage, tout chargé de mépris qu’il est. S’il convient d’entretenir en nous un état permanent de nouvelle conscience, ne nous mettons pas à trembler automatiquement dès qu’on on accuse de réformisme. Cette expression, ne recouvre-t-elle que des réalités méprisables ? » Autre point d’interrogation qui ricoche sur celui qui donne son titre au volume. Entre les deux, et depuis le brasier des années 30, un même énoncé, des combats et un espoir : « la possibilité renouvelée d’un avenir meilleur.»
Marc Norget