Fanzines littéraires à la loupe

 

Que celles et ceux qui aiment les fanzines lèvent la main !

 

Acazine, « journal académique photocopié » comme l’indique son sous-titre, de format 15 x 21, leur plaira. Ce titre, contraction des termes academic zine, fait référence aux travaux de l’historienne anglaise Lucy Robinson qui a proposé, il y a quelques années, cette formulation générique pour désigner des fanzines circulant dans le monde de la recherche. Ce nouveau venu dans le paysage, dont on nous précise qu’il prend le relais de Zines (quatre numéros parus entre 2020 et 2022), se donne pour objectif « d’étudier la place du fanzine comme objet et outil de recherche en sciences humaines et sociales ». On y trouvera une seule et unique contribution par livraison, et c’est Ariane Mayer (université Sorbonne-Nouvelle) qui ouvre le bal avec un essai synthétique d’une petite vingtaine de pages consacré à « l’étonnante diversité des fanzines littéraires ».

 

Autant on connaît plutôt bien l’origine des publications autoéditées (il y a un siècle, dans le milieu des passionnés américains de science-fiction), autant les fanzines de la foisonnante presse musicale alternative (rock, punk…) ont été plutôt bien étudiés, comme d’ailleurs les fanzines de cinoche ou de footeux, autant le cas des fanzines spécifiquement littéraires a semble-t-il été peu abordé. D’où la démarche de classification pertinente à laquelle s’est employée ici l’universitaire : « Il nous a semblé (…) que ceux-ci [les fanzines littéraires] relèvent de trois grands genres, qui coïncident avec trois des racines historiques du fanzine : la revue, le livre d’artiste et le poème-objet », avance l’intéressée qui s’est plongée dans « l’immense patrimoine des fanzines littéraires » constitué par la Fanzinothèque de Poitiers, la plus fournie qui soit en Europe.

 

Balbec Book Club

 

 

Exemples à l’appui, Ariane Mayer donne corps à son hypothèse de travail, laquelle capitalise en partie sur les recherches menées par Samuel Étienne, de l’université Paris Sciences & Lettres et de l’EHESS, lui-même appartenant d’ailleurs au collectif Acazine. Tenant de l’anthologie ou de la miscellanée, le premier groupe, celui des fanzines-revues (Bizarre, Le doigt sur l’interrupteur, Camouflage, Moue de veau...), est à la fois un moteur et un miroir de  l’histoire des marges littéraires, reflétant un évident anticonformisme et « des formes de littérature alternative ». Ensuite, au chapitre des fanzines dérivant de l’esthétique du livre d’artiste, il est question de ces « publications entièrement conçues par un auteur ou un duo d’auteurs, qui en assurent à eux seuls à la fois les tâches de rédaction, d’illustration, de mise en forme, d’impression et de diffusion ». À titre d’exemples, Ariane Mayer cite notamment des poézines comme Station Underground d’Émerveillement Littéraire ou ce qu’elle appelle des égozines, « parutions à auteur unique » donc, à l’image d’Écrits sur rien ou Tout seul. Ce genre du fanzine-livre d’artiste, souligne la chercheuse, apparaît « plus personnel et ouvert à un foisonnement d’expérimentations ».

 

Enfin, il y a le fanzine littéraire qui relève du poème-objet, encore plus marginal que les précédents mais pas moins créatif. Waiting Dogs Calendars, Le Corps du texte, La Potée du poète, Balbec Book Club, voilà quelques illustrations parmi d’autres de cette dernière famille de fanzines littéraires dont les formes originales (affiche, étui, enveloppe, abécédaire textile…) font voler en éclats ce sacro-saint quadrilatère qu’est le bouquin. Au terme de cette judicieuse taxinomie, on ne peut que constater avec Ariane Mayer que le fanzine littéraire montre, dans ses choix de formes, « le rôle crucial de la matérialité ». Artisanales, bidouillées, bricolées, bref, faites avec les moyens du bord, ces productions de la « galaxie des zines littéraires » apparaissent comme des ovnis dans le ciel de l’édition (toujours plus marketée). C’est évidemment pour ça d’abord – cet atypisme, cette hybridité, cette baroquerie –, qu’on les aime et que parfois (comme moi) on les collectionne précieusement.

 

Anthony Dufraisse