Freeing [our bodies] : Jean-François Bory

 

 

« Ainsi vous aimez la poésie, jeune homme ? » :  la question émane d’une nouvelle de Katherine  Mansfield Récits d’une cour, tirée du beau volume d’inédits publié par les éditions du Chemin de Fer en janvier 2020, Le pin, les moineaux, et toi et moi.

Un poète empêché socialement dans son désir d’écrire autant qu’il le voudrait rencontre, par un  hasard providentiel, un vieil homme qui s’assoit à côté de lui sur un banc. Le vieillard déplie avec mille précautions un paquet contenant un livre précieux. Le poète en puissance dérobe l’ouvrage y voyant une occasion d’améliorer sa situation et de se vouer librement à sa passion. On ne dira pas ce qu’il advient le matin venu…

Ce conte n’est pas une mauvaise introduction à l’œuvre de J.-F. Bory animée par une passion cardinale : le livre. Après l’importante monographie publiée l’an passé sous la houlette de Jacques Donguy aux Presses du réel / A.D.L.M.N., la revue FREEING [Our Bodies] dirigée par Yoann Sarrat consacre un numéro d’hommage à  cet auteur d’une œuvre polymorphe (poésies, récits, films, performances, sculptures… mais cet alignement de termes si restrictifs est un peu idiot) et, ce n’est pas secondaire, réjouissante.

Une quarantaine de ses lecteurs assidus se retrouvent dans les pages de Freeing [our Bodies] pour célébrer qui ? quoi ? Un individu (c’est-à-dire un être pluriel) dont l’énergie désirante s’est immédiatement détournée de ce qu’il appelle le « courant central, la rue centrale » de la littérature pour regarder ailleurs, lui qui venait d’Orient : par delà Saint-Germain-des-Près, du côté d’une poésie se revendiquant d’avant-garde, parce qu’elle entend faire du langage un usage qui était celui des avant-gardes historiques à commencer par dada  : « montrer le monde actuel », précise Bory. Cette préoccupation a également engendré sa frénésie revuiste dont il raconte les prémices dans la transcription d’une captivante conférence prononcée au Cipm, le 25 septembre 1999. Et elle s’achève par ces mots : « mon objet d’identification, c’est le livre, et c’est le texte dans le livre. »

 

Toute l’œuvre de Bory le démontre avec A A A AAAART depuis la fin des années 60.

 

Jérôme Duwa