IntranQu’Îllités n° 5 : Éros

 

 

Un phénomène en forme de revue. Après une longue attente que sa dernière livraison comble d’abondance, voici le 5e numéro d’IntranQu’Îllités, la revue enfantée par le poète James Noël (« Un Adam noir qui se retire d’une côte d’Ève ») et l’artiste Pascale Monnin. Objet extravagant avec ses  plus de 180 auteurs, poètes, narrateurs, essayistes, peintres, photographes, peintres et autres créateurs que peinent à contenir les 302 pages de cette livraison particulièrement déconfinée. On aime d’ailleurs que la revue traite également les auteures/trices connues (au juger, le féminin l’emporte donc il l’emporte ici) telles Nancy Huston, Chantal Thomas, Lydie Salvaire, Vénus Khoury-Ghata que d’autres dont on découvre le nom, ainsi l’Israélienne Tal Nizan (« J’enfoncerais mon visage/entre les seins du lutteur /de sumo./Je me cognerais entre ses vallons et ses cimes./ Et il me ramasserait/sans amour et de ce fait/sans blessure ») ou l’étonnant – « un parfait inconnu » nous rassure son traducteur – Carmine Gentile et son ode au cul.

 

Donc, une revue-monde, balayée par toutes les langues, ouvertes à tous les vents du large – son berceau ne fut-il pas Haïti ? – dans laquelle Éros c’est son thème – mène la sarabande. L’éros dans tous ces états, de l’extase à l’absence, de la jouissance à sa perte, dans ses métamorphoses avec bestiaire et flore pour les débusquer. On ne sait dans sa profusion, de mots et merveilles, de sucs et de sel, comment la saisir, l’étreindre, la pénétrer : elle s’offre aussi fort qu’elle se dérobe. Rude enseignement d’Éros qui n’est pas sympa prévient Nancy Huston…

 

Pascale Monnin, La Sainte Verge ou Verge Vierge,
céramique, perles, pierre, vaseline et cendres de cigarette, 17cm x 8cm x 5cm, 2020
Courtoisie de l’artiste. Photo @ Francesco Gattoni

 

Crus et doux, tendres ou fiévreux, les peaux, les sexes, les regards, les caresses, les approches, les accomplissements, les mouvements du bassin, les ruses, les brûlures mais aussi la chaleur du désir, la faim de l’autre (touché-goûté), on aurait garde d’oublier le kilt (Al Kennedy) concertent pour bâtir le plus profane des autels à Cupidon, trublion frénétique vers lequel les bouches des poètes et les mains des artistes tendent leur filet pour guetter ses miroitements. Oui, il arrive aussi qu’Éros revête le visage de l’amour (Carole Zalberg, « À mon ancre », Arthur H, « Le loup acrobate » …). Et la sensualité sait s’insinuer dans de chastes portraits : le très beau portfolio final (Henry Roy). La revue se risque à bien des audaces : les pulsations de la typo, les mots démasqués, les corps dans tous leurs états, tous les genres dans leurs ébats (« je dis nous car, à s’enculer, l’autre et même sont à jamais confondus », J. poète de 90 kilos ?) les photos et peintures s’acoquinant aux poèmes, les nouvelles se chevauchent, s’enfourchent: voltige éditoriale.

 

Au long de ce fleuve intranquille, la revue croise des paysages divers (« chambre noire », « le monde des lettres », « vice&versa », « sens dessus dessous », « la poésie avant toute chose », « tous les vents du monde », « déclic », « cul nu lingus »,« galerie de portraits ») comme autant d’éclats chatoyants d’éros. Elle a aussi le bon goût de privilégier des textes assez courts car entre deux assauts, il s’agit bien de reprendre souffle.

 

Revue de littérature autant que revue d’art, IntranQu’Îllités ne se refuse aucun plaisir et du coup nous en procure doublement.

 

« Ne dites pas publiquement qu’untel est bien gaulé, surtout s’il entend garder le caractère intime de votre relation » (Lydie Salvaire) : IntranQu’Îllités est vraiment très bien gaulée. Et ce qu’elle fouraille d’intime s’offre, en ses capiteux atours roses, en partage.

 

Frédéric Repelli