La carte et les territoires

 

On a Mattang sous les yeux : un format 17 x 26 cm, des textes imprimés à l’encre verte sur un papier couleur ivoire, une quarantaine de pages. Lecture faite de cette revue qui a vu le jour du côté de Strasbourg à l’initiative du visiblement très doué graphiste bientôt trentenaire Léo Tanguy, on pourrait, pour en présenter le contenu, tenter une énumération, à la manière du texte (intitulé « Typologies ») de Julie Deck-Marsault qui clôt ce premier numéro. Voilà ce que ça donnerait :

 

Rêve dans lequel les racines d’un olivier ébrèchent une pierre tombale ;

Somnolence sur le sable d’une plage de l’Atlantique ;

Silhouettes braillardes réunies autour d’un banc sur une place de Strasbourg ;

Jeune femme qui se travestit dans un décor viennois ;

Lac au bord duquel on dégoupille des bières dans la compagnie furtive des libellules ;

Et pour finir, tentative d’épuisement descriptif d’un lieu (Montmorency-Beaufort, dans le département de l’Aube), un peu à la Perec, avec entre autres usine de choucroute, poney trapu, pylône géant, champs de colza et quad tout-terrain…

 

Vous présenter la revue ainsi, sous forme de liste hétéroclite, ne vous renseigne qu’à peine, on s’en doute, sur la nature de son projet qui semble vouloir cartographier des expériences personnelles et des territoires d’expressions hybrides. Celles et ceux d’Inès Hosni, Faustine Reibaud-Nicoli, Iwan Warnet, Eden Lefevre, Jérôme Rich et de la déjà citée Julie Deck-Marsault. Cette revue, croit-on comprendre, se veut inventaire de work in progress ; ce sont en effet souvent des extraits de travaux d’écriture en cours, donc appelés à évoluer. Inventaire, oui, ou pour mieux dire encore, relevé, tout comme l’est finalement ce qu’on appelle un mattang, c’est-à-dire une carte nautique qui n’est pas de papier mais qui se présente sous la forme d’un tableau utilisant des bâtonnets et des coquillages, pour matérialiser les courants de la houle au milieu des îles en Océanie. Car ce sont les habitants de l’archipel des Marshall qui ont mis au point ce principe pour naviguer en toute sécurité d’une île à l’autre… Voilà pourquoi on peut voir les contributions de Mattang comme des îlots reliés entre eux par Léo Tanguy, un genre de marin typographe, une espèce de matelot pictographe.

 

Anthony Dufraisse