La fraternité des images

 

 

On ne glosera pas (trop) sur les liens qui unissent langue et images, poésie et peinture, sur le lien de fécondation qui les entretient dans une relation infinie, indécidable. C’est un mystère qui se pérennise, dont on ne s’extrait jamais vraiment. C’est cette fascination réciproque, cette fraternité profonde, qu’explore le numéro de la la revue de belles-lettres du premier semestre 2019. En considérant ce lien essentiel, le numéro tente de montrer comment les images – visuellement ou dans la langue – n’existent que dans une forme de profondeur, comme par sédimentation en quelque sorte.

 

Il faut toujours s’interroger, se mettre en doute, discuter des points de vue. Comment un regard s’instaure-t-il ? Comment l’exprimer ? Que faire de sa subjectivité face à l’image ? Comment en exprimer l’altérité radicale ? Ce sont ces questions que la rbl se propose de mettre à l’épreuve dans ce numéro riche et cohérent qui va d’Erika Burkart à Étienne Faure, en passant par Cécile Holdban et Pierre-Alain Tâche. Et c’est en quelque sorte ainsi qu’on lit ces textes, d’une manière singulièrement phénoménologique, comme des successions d’impressions strictes, qui s’empilent les unes sur les autres, donnant un volume à des plans. Et n’est-ce pas l’un des exercices fondamentaux de l’œil que de transformer ainsi la matière vue ?

 

Nous sommes là où l’horizon n’est interrompu par rien mais où ce n’est pas bleu. Le grand désert, cet endroit dont on dit que le silence y est indicible ; cet endroit où le ciel qui dort montre des étoiles inespérées. 

Le Sahara. 

Un homme, un Touareg, un Imohar, marche. Il marche sans difficulté, mais lentement, il économise sa sueur. 

Il porte du bleu noir, du bleu qui est presque noir, ou du noir qui est presque bleu. 

Il se parle à lui-même, dedans.

 

Erika Burkart

 

Ainsi débute le texte d’Avril Bernard, qui dit une certaine incertitude fascinée. De nombreux textes dans ce numéro ordonnent le rapport au regard, au point de vue, figurent des peintres, des être qui s’abîment dans leur regard. On y voit l’un et l’autre, embrassés conjointement. Ce sont des textes qui se retournent. Comme le premier texte d’Erika Burkart traduit par Marion Graf :

 

La nuit blanche plonge 

les yeux par toutes les fenêtres

arbre de neige, 

feu qui couve sous le ciel de cendre. 

J’ai mal, entre mutisme et parole

d’être membrane, 

de tendre l’oreille sans mots

dans l’espace sans repères. 

 

Les lecteurs circuleront dans ces poèmes et ces textes incertains, comme flottants, au gré des images qui les saisiront, des liens neufs qu’ils découvriront. Ainsi, on notera les Trois portraits d’Evguéni Reïn, les nuages de Martin Bieri ou l’exploration Triestine de Tâche. Ou encore les poèmes d’Étienne Faure qui traversent des images emblèmes, des morceaux de mémoire déchirés, emportés, quelques incarnations de sentiments, d’idées ou de rêves projetés – Breughel, Manet, Kirchner, Renoir…

 

Hugo Pradelle