Le Magasin du XIXe siècle n° 10 : échos des réseaux

 

 

Une revue qui manie aussi bien la loupe que la longue-vue, c’est Le Magasin du XIXe siècle. La très belle et dense revue de la Société des études romantiques et dix-neuviémistes (la SERD pour les habitués), s’adosse, pour la publication, à Champ Vallon. Ce 10e numéro réfléchit à la notion de réseaux. Il s’agit de regarder de très près ou au contraire de très haut, c’est selon la nature des sujets, les réseaux qui ont structuré, modelé, configuré disons encore, la vie artistique et/ou littéraire, la sociopolitique de ce temps ; l’espace géographique aussi bien (qu’on pense seulement au chemin de fer ou au télégraphe). Tout ici est donc affaire de rouages, de nœuds, de liens, de ressorts, de ramifications, de tentacules, de rhizomes, de circulations, d’influences… José-Luis Diaz, le directeur de la publication : « La plasticité et la transdisciplinarité de cette notion, sa nature visuelle favorisant la représentation par graphes, et sa propension à la métaphoricité expliquent son succès progressif. Labyrinthes, toiles d’araignées, arbres avec leurs troncs, leurs rameaux et leurs ramuscules, plus souvent encore tissus à trame et à mailles plus ou moins serrées, les réseaux s’offrent en particulier à penser l’univers social sous l’angle de ses déterminations concaténées. »  Et Julien Schuh, coordonnateur du dossier, de lui faire écho : « C’est cette propagation de la pensée réticulaire à tous les niveaux de la société au XIXe siècle que ce numéro voudrait interroger. »

 

Un aspect particulier sur lequel on peut s’arrêter, parmi beaucoup d’autres, concerne les revues. Dans Le hasard et la labilité : les réseaux des revues en Europe (1860-1930), Evanghelia Stead et Hélène Védrine s’attachent à montrer synthétiquement comment cette notion de réseaux, offrant un  « modèle heuristique et souple », est pertinente appliquée à l’univers des revues de cette période : « Plus que la notion de champ, c’est la notion de réseau qui permet de reconstituer au mieux le mode des échanges et des transferts entre revues au niveau européen, en réintroduisant au sein du champ fondé sur une logique de concurrence et d’opposition, une logique de solidarité et de coopération. » Ce n’est là qu’un exemple du dossier de cette livraison qui occupe quelque 150 pages, rien de moins. Dans la partie varia, non moins foisonnante,  on trouve encore, ici et là, des échos de la thématique principale. Ici Claude Schopp se penche sur la correspondance entre George Sand et Dumas fils (il lui donnait de « l’illustre maman » et Schopp parle de Dumas comme du « fils de raccroc » de Sand…) pour regarder leurs réseaux respectifs, tout d’affinités éclectiques, s’entrelacer. Là Sophie Vanden Abeele-Marchal interroge, miroir de ses liens mondains, le corpus épistolaire d’un Vigny, censément archétype du poète-de-la-tour-d’ivoire et qu’on aurait cru, à le voir si méthodiquement organiser sa postérité, moins soucieux de sociabilité…

 

Et puis comment ne pas parler des opportunes publications d’extraits de textes de Jules Janin, « le » critique dramatique de l’époque, et de l’essayiste Daniel Halévy, tous deux racontant des situations épidémiques ? Le premier se fait chroniqueur du Paris de 1832 en proie au choléra, quand le second, s’essayant au roman d’anticipation, imagine une épidémie à la fin du XXsiècle… Redécouvrant ces textes, on s’interroge au passage : dans quelques décennies, qui apparaîtra comme chroniqueur emblématique du corona ?

 

Anthony Dufraisse