Lettres de Lémurie n° 1

De quelle adresse nous viennent donc ces Lettres de Lémurie ? La Lémurie, certes mais c’est par où ?  Au sud de l’est, un continent hypothétique, imaginaire, conjecturé dont ne resteraient – mais ce n’est pas rien – perlant l’océan indien, un cortège d’îles, Madagascar, Les Comores, les Mascareignes (Île de La Réunion, île Maurice, Rodrigues). C’est loin : oui mais non, la France ayant boulotté ces terres et cultures.

En Lémurie, d’abord ça chante de tout côté : le nom des auteurs (Touhfat Mouhtare, Shenaz Patel,  Raharimana, Ambass Ridjali, Mialy Ravelomanana, Douna Loup…), les langues (« Fa engama moa izaho City haha toi ka be-tsy-miteny dia azonanrao araraotina hanalana vokona isak’izay mahatsiaro ? », « Kalokalo mamolivoly non injany mikarantsana mampianoka rotsirotsy ny efitrano menontolo. »). Le correcteur automatique fait ses rappels à l’ordre, récuse des graphies inédites : c’est tout lui qui déteste écrire ce qu’il n’a pas anticipé ; c’est pourtant le premier plaisir de la revue que de nous faire accoster au rivage de langues rares et rarement traduites (la revue bien sûr dévoile leur énigme en donnant en regard  de l’ensemble des textes leur version française.)

Quelle chance ont les auteurs et leur langue de trouver comme port d’attache, ces Lettres de Lémurie dans leur improbable format : 36 cm de haut sur 18 cm de large ! Longs récits, longs poèmes, théâtre même, peuvent se déployer confortablement sur les longues plages inviolées que leur offre la revue. Des espaces si aimables que toutes les tonalités peuvent y miroiter et les imaginaires prospérer. Dense floraison (24 auteurs, 200 pages) de textes bifides : assurément plantés sur la terre d’aujourd’hui et la cervelle imprégnée d’histoire sans fond, conjugués au présent et pétris de mémoire, silhouettes de contes et scènes de vie. Langue inventive, libre, drue, crue, qui semble souffler dans les bronches du français timoré. Ça fouette les sangs : air du large et senteurs entêtantes. Humour qui ricoche et nostalgie aussi : « J’ai si fort besoin du pays de mon repos. » (Ananda Devi)

Autre grâce des Lettres de Lémurie : au fil des pages, des dessins rudimentaires sèment des îlots, qui parfois titillent les textes, les multiplient, emplissant bientôt la page. La Lémurie n’existait pas (abolie comme le dodo – Dodo vole est la maison d’édition de la revue) cependant la voici qui prend forme : d’une richesse insoupçonnée, semée de territoires à faire émerger, à explorer. Découvrir/revenir.

« Non, je te promets t’y crois pas que ça existe un endroit comme ça.

D’abord, y’a le soleil, ah le soleil, pas un seulement un rayon en passant hein !

Non, il est là, fort et bon, du matin au crépuscule. Ça te change des néons de la RATP.

Mais je ne t’ai pas encore dit les fleurs, des hibiscus gros comme le poing, rouges comme l’amour, des bougainvilliers en cascade de violet, des fleurs de frangipaniers, celles-là tu peux t’en faire des colliers. 

[…] » (Soa Hélène)

Les Lettres de Lémurie : c’est au moins un collier. Beau travail vraiment.

Allez une devinette pour finir :

« J’entends juste

Dans la chambre d’à côté

Que ruissellent

Les derniers pleurs

Du mvuvu » ( Saindoune Ben Ali)

 

Frédéric Repelli