
Saluons, d’abord, sa belle longévité. Fondée en 1977, la revue Verso fêtera bientôt ses 50 ans d’existence. Mais ne vieillissons pas trop vite cette publication poétique qu’Alain Wexler anime et confectionne depuis toutes ces années avec une dévotion grande. Toujours aussi sobre et soigné dans sa mise, ce numéro 201 daté de juin 2025 s’habille d’une très estivale couverture couleur melon qui lui va fort bien au teint. Son thème : le temps. Matière à réflexion et création décidément inépuisable, qui inspire ici une trentaine d’auteurs, dont certains d’ailleurs sont publiés pour la première fois dans la revue.
Avec une thématique comme celle-là, impossible d’échapper évidemment à l’expression d’une certaine nostalgie qui pique souvent les yeux, et parfois jusqu’au sang quand elle se fait mélancolie. Avec le temps qui passe, les absents deviennent des revenants que tel ou telle convoque. « Les morts sont des cailloux dans la chaussure », écrit ainsi Anne Soy. Invocation ou simple évocation, le poème, en prose ou de forme libre, a quelque chose alors d’une prière ; les vivants saluent les ombres aimées, à moins que ce ne soit ces dernières qui se rappellent à nous, silhouettes rétiniennes ainsi qu’on le dit d’une image rémanente. À cette aune, citons Flore Nélin – « La langue s’abîme dans un lait de pleurs » – ou Iren Mihaylova qui parle de ses « doigts remplis de ruines ». Mais n’allez pas croire que tout dans ces pages ne serait que déploration en sépia et « farine d’hécatombe », pour citer la tonitruante formule de Marc Mériel.
Moins élégiaque et plus contemplative, une autre veine donne dans la célébration de l’instant, la captation de son intensité, le poème devenant en pareils cas méditation de pleine conscience, intériorisation aiguë, yeux grands ouverts sur ce qui est ici et maintenant, qui vibre et palpite, les êtres ou les paysages. Il s’agit dès lors de saisir le plus vif du temps, de « cueillir la vie qui s’enfuit », pourrait-on dire avec Louis Dumont. Il n’est pas interdit d’y voir une manière de satori qui, rappelons-le, désigne dans la culture japonaise un éveil spirituel. Les Joyciens préféreront peut-être parler, eux, d’épiphanies…
La compréhension du thème de cette livraison se décline également sous le signe de la transmutation de l’identité, de la mémoire, du corps. Dans ce registre, certaines voix se font plutôt l’écho de métamorphoses et de fluctuations. « Ce qui est important ce n’est pas le temps qui passe mais le temps qui change… », écrit par exemple Stéphane Casenobe, un habitué des revues soit dit en passant. Bref, on l’aura compris, plusieurs fils peuvent être tirés de cette pelote poétique. Terminons cette rapide lecture – parce qu’il est mort l’an passé à cette même époque – en faisant entendre la voix de l’émérite revuiste Daniel Birnbaum, qui avait dernièrement, en 2022, publié Le temps mauve :
Il ne faudrait pas croire
que le temps s’avance
comme le pèlerin dans un décor de rêve
entre deux bâtons de marche
achetés à moitié prix sur le net
alors qu’il attend depuis toujours
à l’étape suivante
Anthony Dufraisse