L’Incroyable n° 1

 

Ci-devant, donc, L’Incroyable. Titrer comme ça une revue, c’est pour le moins osé. Clotide Viannay, à l’origine de la chose, l’a fait. D’ailleurs, est-ce vraiment une revue ? Entre un format (23 x 33) plutôt courant en kiosques, les propositions commerciales d’encarts publicitaires et la mention « magazine » répétée, dans le colophon notamment (« Le magazine n’est pas responsable des textes qui lui sont adressés ») ou l’adresse mail (pub@lincroyable-magazine.com) qui lui donnent un profil de support de presse, on en douterait presque. D’autres éléments – périodicité annoncée comme annuelle, le terme « revue » revendiqué dans l’édito, organisation thématique – font cependant, in fine, pencher l’objet du côté des revues. L’Incroyable est au minimum un truc hybride, un machin inclassable. L’invitée d’honneur de ce tout premier numéro s’appelle Juliette Gréco. Dans un texte, semble-t-il inédit, la grande dame au regard toujours charbonneux évoque des souvenirs de ses débuts à Saint-Germain-des-Prés et, dans un entretien fouillé (une quinzaine de pages toute de même) avec la maîtresse de maison, revient sur sa jeunesse, et d’abord son adolescence. C’est encore elle – ainsi le veut le principe de la revue – qui a choisi le thème du dossier : ce sera la danse. Et plus précisément la danse à différentes époques, et souvent abordée sous l’angle de l’adolescence. Cet ensemble s’ouvre sur une archive de 1947, un article baladant le lecteur dans les lieux fréquentés par une jeunesse existentialiste naissante, en mal de légèreté après les années de plomb de la guerre. Deux entretiens suivent – le premier avec la performeuse américaine Shana Moulton, le second avec le chorégraphe Christian Rizzo – qui abordent le rapport au corps mis en mouvement : pour l’une à travers son expérience étudiante des raves parties à San Francisco, pour l’autre à travers le clubbing. Deux graines de championnes qui aspirent à une carrière professionnelle de patineuses artistiques apportent quant à elles un regard sur le corps soumis encore et encore à l’effort, posant la question de la résistance, du sacrifice et de l’échec. Enfin, l’incursion dans le milieu de la musique hardcore (ses codes, ses rites, ses hot spots) surprend pour qui ne connaît rien de cet univers-là. Pas moins surprenantes, et hors dossier cette fois, sont les contributions qui remontent aux origines du zoot suit (ce costard extravagant arboré, par goût de la provoc’, par les Mexicains dans la Californie des années 40, et décrypté par un papier de Frédéric Joignot initialement paru en 82 dans Actuel) et à l’émergence, dans les années 50, du jazz dans les ghettos sud-africains à l’époque de l’apartheid (à partir d’un témoignage privilégié de Jürgen Schadeberg, photographe à l’époque du magazine local Drum). Ce trop rapide survol dit assez l’originalité du contenu de ce magazine-revue (ou l’inverse) dont l’habillage, en revanche, laisse un peu perplexe. Certains diront que les partis-pris de mise en page frisent incroyablement le kitsch.

 

Anthony Dufraisse

Publié dans La Revue des revues no 55