Meteor au rapport

 

Enthousiasmante, cette revue qui se veut toute de « création poétique » ! Voilà le 4e numéro de Meteor – oui, sans accents ni « e » à la fin – une publication que, pour ma part, je n’avais encore jamais lue. Et c’est une heureuse découverte, vraiment. Qu’une revue puisse mettre Sandra Lillo à l’honneur c’est, précisément, tout à son honneur. Nantaise, la poète (mot qu’elle préfère à poétesse) gagne à être davantage connue. Pour la petite histoire, elle a été repérée sur Facebook par Valérie Rouzeau. Sa poésie n’est pas sans rappeler celle d’un Thomas Vinau. Un peu comme lui, elle prête attention aux petites choses, ne se regarde pas en train d’écrire, pas poseuse pour un sou, se tient à hauteur d’homme. « Chacun fait avec les étoiles à portée de sa main », dit joliment Antoine Maine dans le texte qu’il écrit suite à sa rencontre, dans les environs de Nantes, avec cette femme discrète et modeste nourrie des « grands-oncles américains », Carver, Brautigan, Kerouac. Sa modestie revendiquée dans l’intention poétique (une simplicité presque enfantine parfois, même) ne plaira sans doute pas trop aux tenants d’une poésie-théorie ni aux adeptes d’une poésie lyrico-maniaque. « Elle s’est retranchée dans la poésie comme un électron libre pour écrire des poèmes d’or, doux comme des ours marron, explosifs comme de la dynamite », écrit de son côté Ramiro Oviedo, un auteur franco-équatorien (qui signe dans ce même numéro deux contributions personnelles), après avoir lu Les bonbons pleurent (Castor Astral, 2021), le plus connu des quatre recueils que cette « petite fille dans la cinquantaine » a publiés à ce jour.  Celle dont « l’écriture est un mélange subtile de fragilité et de force » regarde le monde autour d’elle, les deux pieds bien ancrés dans ce réel dont les exigences souvent la déboussolent. Et tant pis si le prix à payer pour s’assumer chaque jour poète, et seulement poète, est une certaine précarité sociale ; elle tient bon, s’accroche, ne raccroche pas les gants. Ainsi va la vie (d’adulte), il faut savoir rester sur le ring, encaisser, se défendre avec les moyens dont on dispose. On l’aura donc compris, les poèmes de Sandra Lillo ne sont pas clinquants, ils ne roulent pas des mécaniques, ne sont pas culturistes. Ils sont secs, n’ont que la peau sur les os, dispensent une faible lueur, dont on ne sait pas toujours d’ailleurs s’il s’agit d’une lumière en train de s’éteindre ou au contraire de s’allumer. Oui, ils laissent derrière eux une traînée lumineuse (comme un météore dans le ciel, au fond). Le plus beau poème qu’elle donne ici ? Peut-être celui-ci :

 

Un matin on part travailler

on a vingt ans

l’air sent la neige et l’orange

le soir on a les cheveux gris

et on s’est juré de ne plus pleurer 

 

Les poèmes de Sandra Lillo ne sont pas sans correspondre à la définition que Balthazar Leys, l’artiste invité du portfolio de cette livraison (un portfolio servi par le format généreux, 19 x 27, de la revue) donne de son propre travail, entre peintures et/ou dessins, où le motif de la cabane est récurrent : « Ce sont des refuges fragiles, où l’on s’extrait d’un monde qui ne nous satisfait pas, pour observer un autre monde. » À sa manière aussi la poésie de Lillo est une cabane ; fût-elle de bric et de broc, fût-elle branlante sous les assauts du vent, le lecteur s’y sent à l’abri. Dans la continuité de ce portfolio où le paysage permet d’interroger le lien qui (dés)unit l’homme et la nature, nous sont présentées une vingtaine de contributions poétiques inédites. Dans le lot, quelques noms seront sans doute familiers aux habitués des revues, qu’il s’agisse de Murielle Compère-Demarcy, Sylvie Durbec, Brigitte Giraud ou encore Fabien Maréchal et Serge Pey.

 

Anthony Dufraisse