Mirabilia, n° 6

N’y aurait-il qu’une seule raison de lire le dernier numéro de Mirabilia (n°6, automne 2014), ce serait pour faire la découverte époustouflante du peintre américain Andrew Wyeth (1917-2009). Difficile de faire sentir l’envoûtement que les 8 œuvres reproduites ici procure. Des sujets humbles, des fragments de vie simple, sous une palette comme amortie, traités avec un réalisme minutieux aux antipodes du naturalisme. Le temps y semble suspendu. La suprême précision technique est tout mais rien : ces pans de « réel » prélevés (sauvés ? perdus ? sanctuarisés?) aspirent calmement le regard du spectateur afin qu’il s’y affûte. Tentons une approche : un art qui tiendrait de Menzel et d’Hammershoi avec un soupçon de Spillaert… Beaucoup mieux, l’étude précise d’Anne Guglielmetti permet de voir plus justement dans le travail d’A. Wyeth.

 

 

Dans ce numéro consacré au Temps, le sablier de Mirabilia fait s’écouler bien d’autres variations avec son goût pour le brassage des savoirs et des approches. : de l’invention de la mesure du temps par l’historien David S. Landes aux battements du cœur (le cardiologue Pierre Démolis), du temps de l’au-delà dans les sociétés océaniennes (Marine Degli), à celui dévolu à la création d’un jardin (le domaine de La Roche-Jagu par Bernard Paulet) en passant par la nostalgie du quartier perdu (le 11e sous les yeux de Bruno Montpied et José Guirao). Quant à la voix de Sidonie, celle de l’horloge parlante, soufflée par la fantaisie de Vincent Gille, elle philosophe le temps : « le temps n’a rien à voir avec la représentation qu’on s’en fait par erreur, d’une sorte d’architecture régulière, immuable, et unidirectionnelle. Il y a des secousses, des changements de pied, des contre danses subreptices, de saisissantes syncopes.»

 

Venu d’un autre temps – vraiment ? – Montaigne clôt cette livraison : «  J’ai une sorte de « lexique »  qui m’est tout à fait personnel. Je dis que je  » passe  » le temps quand celui-ci est mauvais ou désagréable ; mais quand il est bon, je ne le « passe » pas, je le déguste, je m’y arrête ». Riche idée, s’arrêter le temps qu’il faut dans la compagnie de Mirabilia dont un poignant récit de Gabrielle Roy – entre songe entêté du bonheur et visite endeuillée – marque le seuil.

 

André Chabin