Panaït Istrati & Romain Rolland

 

Il y a des écrivains qui fondent des communautés. Dont la fréquentation, l’admiration qu’on leur porte, ordonnent une connivence. Ils sont au centre d’un partage paradoxal : on veut les faire connaître en même temps que leur discrétion semble nous élire au rang d’une confrérie. Quelques exemples : Bruno Schulz, Klaus Hoffer, Danilo Kiš, Maurice Pons…  Il en est de même pour Panaït Istrati, écrivain roumain exilé en France, espèce de vagabond littéraire, dont on vient de rééditer chez « L’Imaginaire » le cycle consacré à Adrien Zograffi : Codine, Mikhaïl, Mes départs et Le pêcheur d’éponges. Heureuse initiative qui permettra à cet écrivain plus que discret, inclassable, de rencontrer de nouveaux lecteurs qui rejoindront ainsi la grande communauté de ses admirateurs au premier rang desquels Linda Lê, Angelo Rinaldi ou notre collaborateur Ulysse Baratin…

 

Une revue s’emploie avec obstination à promouvoir son œuvre, à en décrypter les arcanes, à agréger la communauté disparate de ses lecteurs : Le Haïdouc. Son dernier numéro revient sur l’une des relations fondamentales de l’existence de cet écrivain : sa rencontre avec Romain Rolland. Consacré principalement à la très belle édition de leur Correspondance, 1919-1935. Christian Delrue, animateur de la revue, aborde cette masse comme un « exceptionnel témoignage sur une amitié hors du commun » « un véritable ‘livre de vie’ ». On a beaucoup glosé sur la relation dissymétrique entre le Nobel consacré, géant des lettres françaises, et ce « vagabond roumain sachant à peine le français », étrange attelage dont on peut aujourd’hui découvrir dans une édition complètement remaniée les échanges passionnants. Dans l’article qu’il consacre à ce gros volume, Denis Taurel, étudie cette nouvelle édition dans laquelle on redécouvrira des « texte enfin décapés, débarrassés des scories, corrigés des erreurs », dans « une version ‘intègre’ ». Il nous invite à lire ces échanges épistoliers comme on lirait un roman, avec la même ouverture d’esprit, la même disponibilité, le même allant. On y circulera, y trouvera quelques pépites, bref on aura envie d’y aller voir de près, de lire Istrati tout simplement.

 

On est frappé, comme toujours avec cette revue, de l’attention portée aux détails, à cette méticulosité savante, à une intégrité intellectuelle que Taurel reconnaît aux deux maîtres d’œuvre de cette Correspondance : Daniel Lérault et Jean Rière. Ce dernier signe d’ailleurs un papier dans cette livraison. Un long texte au parti pris clairement assumé qui remet quelques pendules à l’heure pour le dire familièrement quant à la relation de Rolland avec Istrati, sur les péripéties éditoriales de leur correspondance, la portée intellectuelle des manipulations de certains… Il revient sur les liens avec la Russie de Rolland, sur le rôle de Marie Koudacheva… On trouvera quelques belles archives à la fin du numéro autour de l’édition de deux textes d’Istrati chez Gallimard à la fin des années 20 : Isaac et La Famille Perlmutter.

 

Golo, « Istrati ! II. L’écrivain », Actes Sud & « Correspondance Istrati-Rolland », Gallimard

 

Certes par moment, cela sonne comme des débats de spécialistes, de fanatiques, d’amateurs qui ont dépassé le stade éclairé… C’est très informé, précis, méticuleux… Et pourtant, malgré cette dimension hyper spécialisée, on perçoit dans Le Haïdouc cette énergie de ceux qui défendent une œuvre, la mettent énergiquement en lumière, comme à l’affût de la rencontre qui achèvera l’éclipse… Pour Istrati, fort longtemps oublié, les choses sont plus qu’en bonne voie… En témoignent cette Correspondance monumentale, plus de 600 lettres, les extraits de la bande dessinée qui lui est consacrée dont on peut découvrir quelque planches ici, les rééditions dans diverses versions de ses textes et les voix qui accompagnent cette redécouverte, amplifiant l’attrait d’une œuvre considérable.

 

Hugo Pradelle