Pluriel d’images

 

 

RADIAL n° 2, L’image sans qualités : Il faudrait sans doute mettre le mot image au pluriel, comme le fameux romans de Perec (La Vie mode d’emploi), histoire de faire mieux entendre ce qu’il a d’inextinguiblement inépuisable ! En attendant, on peut toujours se reporter au s de qualités…

 

L’emprunt à Musil est d’ailleurs tout sauf fortuit ; il repose sur de solides intuitions, de non moins argumentées comparaisons et d’encore plus étayées propositions. Mais le plus simple est peut-être de citer l’éditorial, qui ouvre grand le champ des possibles : « le « sans qualités » est convoqué tantôt comme un arrêt sur l’histoire d’un médium, tantôt comme un travail sur une mémoire privée de figures, ou bien encore comme un geste décomplexé qui génère des liens sociaux. »

 

Exemplaire est dans cet ordre d’idées, et d’images…, la longue étude qui ouvre la revue. Consacrée à l’ouvrage de Jean Massart paru en 1912 (Pour la protection de la nature en Belgique), son auteure, Nora Labo, s’appuie sur les illustrations photographiques et leur banalité déconcertante, pour démontrer qu’elles anticipent le « pas-encore imaginable ». Une sorte de pittoresque négatif, si l’on peut dire.

 

 

De non moins intéressantes lectures ou analyses suivent, qui prennent appui soit sur des images mises en scène lors d’installations visuelles et/ou sonores (le collectif lacasadargilla), soit sur le portrait, comme cette artiste brésilienne, Rosângela Rennó, qui récupère des photos d’identité tirées d’archives administratives, réflexion sur la « visibilité de l’invisible » que Jacques Leenhardt lit et relie avec d’autres travaux d’artistes, Christian Boltanski ou Carrie Mae Weems. On ira voir aussi du côté de l’écrivain W.G. Sebald, ou le travail de la mémoire s’apparente à une sorte de gris (des images) sur gris (du texte), comme on dirait ton sur ton ; à moins que l’on ne se pose la question du droit d’auteur à l’ère du partage sans fin des images (réponses de Bérénice Serra à partir des œuvres de Daniel Buren).

 

Au vrai, l’art d’être une revue de recherche… et d’art repose sur une capacité double : être à l’écoute de l’art, donner à entendre les artistes. C’est ce que fait fort bien RADIAL, qui accorde autant de place à la démonstration qu’à la monstration… En témoigne De l’image tu es venu et à l’image tu retourneras de Ivanov Pravdoliub, qui fait le point, avec ses mots vivants et incisifs, sur quelques-uns de ses projets, notamment Un mètre cube de moins, un mètre cube de plus, Territoires, et Monument à la lavandière inconnue.

 

La boucle est bouclée avec la présentation des installations de l’artiste Georges Adéagbo par Colette Hyvrard, qui consistent « à accumuler des objets, mais aussi des documents de toutes natures. » Au pluriel, comme il se doit.

 

Roger-Yves Roche