POLYGONE n° 0 : Revue Pirate à lire en voyage

 

 

Quoi de mieux qu’un temps de voyage au long cours pour se plonger dans « Pirate », n° 0 de POLYGONE, nouvelle revue critique d’architecture et de société. Après le parcours d’usage du sommaire, de l’édito, puis de la 4e de couverture déclinant les 33 auteurs présents, vient la question de l’abordage.

 

Montée dans le train, revue emportée en voyage pour la traversée d’un lieu de Bermudes (pourtant sur terre ferme), en Train Lente Vitesse (TLV), offrant la temporalité idéale pour la découverte du volume Pirate. Feuilletant les pages, le paysage défile en échos à la lecture, interrogeant : Que pourrions-nous faire ?

 

Quels assemblages, rythmes ? Synthèse. Qu’est-ce que « Pirate » ? Le piratage comme décryptages, contournements, transformations… mises à distance favorisant l’analyse et la compréhension d’un monde complexe, à l’invitation du collectif POLYGONE ?

 

Vous embarquez dans un TLV donc, qui ralentira expressément à travers la belle forêt endormie de Montech, du fait de barrières et passages à niveaux défectueux, délivrant aux regards les arbres fins de cinéma panoramique et feuillages flottants où filtrent la lumière. Semblants de pénombre et sous-bois habités de fougères, lisières mystérieuses le long des voies. Silence, Publicité : « la beauté et le calme de la nature ».

 

Quel animal pourrait surgir de la forêt ? Biche, lièvre, oiseau ?

 Le temps de la forêt s’estompe, revoici la zone indus, nouveau territoire type Citéruine, ville fictive Pirate de Jérôme Dubois, qui affiche étonnamment un héron au profil élégant, surplombant le bassin d’orage en réduction d’océan. S’enchaine l’inachèvement d’un lotissement géométral pré-programmé, aux seules voies de bitume tracées-coulées dont les angles affligent, marqués par ces arrivées de câbles en attente, et tunnels plastiques de protection rouges qui n’ont rien à envier aux Thermotubes de POLYGONE.

Des maquettes de terres agricoles filantes, défilent ou s’étendent à l’horizon, des ruines majestueuses au loin sur des monts encore boisés non saccagés, puis de nouveau quelques pavillons se dressent, typiques de l’Hexagone, paysages de ces zones distendues sans avenir concerté (ou à l’avenir déconcertant ?).

Drapeaux, gilets, publicité. Serions-nous déjà à Coronaville ? Non, trop tôt. Quoique…

 

« Pirate » peut se lire à l’envers. Commencer par la fin semble adoucir le volume, dévoilant une intrigue et favorisant l’immersion dans les 320 pages de ce POLYGONE 0. Des clés de lecture inattendues se présentent, guidant le parcours dans l’épaisseur déclinée en 6 chapitres : POLYSÉMIE, OCTOGONE, PARAGONE, HEXAGONE, POLYGLOTTE, POLYGAME, autant de jeux de mots et d’images « ouvrant chacun un débat spécifique » comme le précise la note d’intention. Les chapitres sont suivis d’annexes recommandées pour la navigation. Quant aux premières pages, vous y lirez le manifeste, la note d’intention et l’édito déjà cités, puis le Sommaire avec auteurs et titres explicites des contributions réunies sous l’étendard (ou pavillon).

 

L’écran d’affichage est à 315 km/h ou 197 mph selon votre horizon. Le TLV semble devenu TGV…

Paysage pour pause, cadrage réussi sur maison et piscine Hockney d’un nouveau lotissement perpétuel.

Zones désuètes, voire désertes, ou désertifiées peut être… Seront elles piratées, de fait ?

 

Le corona est convoqué dans la revue, interrogeant jusqu’à modeler de nouveaux quartiers ou principes de ville imaginés par Nicolas Houssais, et figurés dans les illustrations N&B de Félix Chicoteau, Quentin Dejonghe et Thomas Giroud.

Les architectes proposent…

Pirater… pour redonner du sens ?

 

La revue POLYGONE fondée en 2019 par le collectif éponyme, composé de six jeunes architectes, « s’inspire de POLYGON, une publication britannique des années 50 considérée comme l’un des premiers magazines d’architecture protestataire ». On y retrouve au cours de la traversée le rédacteur en chef, Nicolas Houssais, signant plusieurs contributions dans ce numéro 0 : « La ruée vers l’hors » ; « Les autres architectes » ; « L’architecture mondialisée » ; « Coronaville ou la ville déconfinée » évoquée plus haut.

 

Le train s’arrête. Descente exceptionnelle pour visite avec ou sans pass.

 

Dans POLYGONE n°0, vous pourrez aussi vous plonger au sein de l’essai philosophique « Trans-pirates » de Chris Younès en ouverture de POLYSÉMIE ; puis explorer avec Marine Lecomte, avocate, « Les pirates dans le droit et sur les mers ». Vous surferez sur « les Zones inconnues temporaires » de Clément Vigne navigant entre darkweb et clearweb. Dans le chapitre OCTOGONE, on vous recommande l’escale « Image.exe » avec Camille Tellier pour ses mises en regard d’images et de leurs transformations construites. Vous ne manquerez pas le texte engageant du collectif Cyprès du cœur intitulé « Le vert : entre greenwashing et bonnes intentions » ; ni l’entretien avec Paul Watson « Black Fakg Versus Red Tape » réalisé par Félix Chicoteau, où vous voguerez entre navires métal aux dents de requins et vaisseaux fantômes à pourchasser, pour la préservation de la faune marine avec l’ONG Sea Shepherd Conservation Society. Vous découvrirez bien d’autres recherches et aventures, abordant, selon les 6 chapitres énoncés de ce récit-voyage, la piraterie sous ses différentes coutures sémantiques, devenues bien nécessaires après ces alléchantes mises en bouches maritimes.

 

Vous pourrez déguster également la sélection de publicités acidulées, issues de magazines d’architecture (des années 1950 à 1990) par Berger&Berger, qui vous plongeront dans une époque moderne aux éclairages artificiels, vitrages isolants, clim pétrole et personnages combis de réelles fictions. Ces interludes ponctueront votre découverte Pirate au détour des pages, architectures et paysages urbains reconstitués par Thomas Lang, photographe, dans le projet « Gestalt ».

 

Également dans le chapitre POLYGAME, les illustrations du jeu visuel « Où est Carlos Ghosn ? » élaboré par Quentin DeJonghe vous mèneront dans une Polygone City graphique vue d’avion, où vous pourrez apercevoir Carlos et même entrevoir notre train, en cherchant bien.

 

Cartes, photographies, collages, dessins, BD, schémas, illustrations, visuels, installations… enrichissent les pages de cette foisonnante revue, en N&B et couleurs, qui se définit pluridisciplinaire et éclectique de façon bienvenue, aspirant à « reconnecter l’architecture à la société et à ses usagers ».

Voyages à réitérer annuellement avec POLYGONE, qui invite au débat « sur les sujets sociétaux actuels » au gré des escales polyglottes, des réflexions engageantes, et des territoires parcourus, désirant « pirater la société, le métier d’architecte et les codes de la presse ».

 

Tiens, déjà la fin du voyage… ?

 

Après l’appréciation renouvelée de la couverture Pirate, du drapeau et de son Black & Wight négatif, après les décryptages et associations multiples. Que chercher ? Ces interrogations, propositions, actions… seraient-elles délivrées pour un monde nouveau à venir ? De nouveaux piratages… ? Peut-être. Il y a bien des choses encore à détourner.

 

Blanche