Possession immédiate (volume IX)

 

Revue de littérature et de photographie, Possession immédiate qui peut se prévaloir d’une qualité d’impression digne d’un magazine de luxe, se propose de livrer avec son volume IX une « Contre-offense » afin de réagir aux inéluctables dérives du monde moderne, toujours incarné par cette décevante société de consommation. L’offense est celle qu’inflige aux faibles la technocratie sans visage, servile domestique du Capital, adjointe des « études de marché et [des] bases de données ». La « contre-offense » consiste à mettre en évidence la « noblesse des inadaptés », ces « Fous, vieillards, combattantes, pauvres, proscrits, animaux » attaqués sans cesse pour la seule raison qu’ils sont faibles. Avec un grand souci d’équilibre entre l’image et l’écrit, la revue de John Jefferson Selve poursuit son labeur, c’est-à-dire « Partir de la pénombre, baisser la lumière pour mieux voir et mieux entendre, c’est ainsi que se tapit Possession immédiate depuis ses débuts. »

 

Credo qui explique pourquoi un riche aréopage issu des métiers de la photographie et du cinéma occupe le sommaire et enrichit la publication d’images souvent très belles, célébrant matières et corps, féminins notamment, puisque comme l’écrit  Cédric Lagrandré dans l’extrait de son Antisexus qu’il propose : « Le moins qu’on puisse dire est que l’homme moderne ne vit pas sans tourment sa condition sexuée. » On pourrait ajouter : « et que l’art ne désespère jamais dès lors qu’il reste le nu. » Cela illustre tout le paradoxe de Possession immédiate dont le grand cœur se rebelle et doit se débrouiller avec les ressorts du luxe et les outils de l’art. Au cœur de l’imposant sommaire du numéro figurent Mehdi Belhaj Kacem, désormais schopenhauerien, qui se souvient d’une phrase de Sollers (ex-sollersaurien ?), Théo Casciani, Nicolas Comment ou la photographe kazakhe Kamilya Kuspanova, le peintre roumain Adrian Ghenie, ainsi que Clément Roussier, rappelant à la vie d’avant « Monsieur Picard », le voisin de ses grands-parents qui a fait un AVC et raccroche à son insu les wagons des souvenirs d’enfance de l’auteur — on aurait aimé voir aussi un portrait de ce bonhomme-là —, ou encore de vertes écritures qui se cherchent avec toutes leurs maladresses (« Non plus ultra » de Raphaëlle Milone). Très littéraire in fine, un texte de la collaboratrice de la revue Lignes Mathilde Girard, « Qui veille sur la blessure ». Il mérite aussi qu’on s’y arrête : la jeune intellectuelle y admet cacher des objets sous son oreiller, déclare les voler parfois. À l’instar de Jean Genet portant son dévolu sur les livres de ses amis. Une évocation de nos « dérogations » et de l’enfance embastillée du grand écrivain, voilà où la contre-offense opère.

 

Éric Dussert