Pour Alain Veinstein, la peinture est une autre écriture

Alain Veinstein n’est pas qu’un poète qui a marqué les années soixante-dix et impulsé – avec Jean Daive et d’autres – une direction nouvelle à la poésie en France, la marquant sur la longue durée. Ce n’est pas non plus seulement l’interviewer de France Culture qui ne disait pas grand chose mais ouvrait une espèce d’espace à la parole d’écrivains qui ne ressemblait à aucun autre. C’est aussi un passionné, depuis sa jeunesse, de peinture, qui se destinait à ça, créer des images.

 

On découvre dans le dernier numéro de Le Cahier du Refuge’’’ ses « papiers noirs », avec le même plaisir surpris que nous avions découvert ses Papiers peints parus au Seuil l’année dernière. Le Centre international de poésie de Marseille organise du 7 juillet jusqu’au 22 septembre une exposition qui rassemble ces images créées à partir de palettes.

 

Papiers Noirs par Alain Veinstein

 

Deux textes de Veinstein qu’accompagne des souvenir de son ami Jean Frémon, donnent à entendre un parcours, une « vocation contrariée », « une identité malheureuse », que le hasard de l’existence remet à son devant. Car c’est avec une énergie furieuse que Veinstein peint, avouant lui-même qu’il n’en est « qu’au commencement ». La peinture est l’affaire de sa vie, avant la poésie, avant le langage, le sien, celui des autres. Les images peintes ont « compliqué (s)on horizon », provocant un « profond malaise », l’amenant à l’écriture. C’est en déviant qu’on se trouve, semble-t-il nous dire.

 

Mais il y revient, dès 2014, retrouvant une autre forme d’écriture, puissante : « la peinture a surgi à nouveau des décombres du temps », écrit-il. Dépassant les débats infertiles sur la figuration et l’abstraction, il propose une manière de les lier, de les conjoindre. Son second texte, moins général, s’attache à réfléchir cette couleur, le noir, qui le menace. Le noir dont Jacques Kober disait qu’il était « la synthèse des lumières invisibles », « nous aide à chercher ce qui pourrait nous rappeler le monde vivant ». Le noir qui nous avale et nous éloigne, nous offre toutes les contradictions, tous les possibles.

 

Jean Frémon le portraiture en jeune peintre devenu poète, un jeune homme qui « saccage » son oeuvre naissante pour passer à autre chose. Au-delà de ses formes mêmes, singulières, les peintures d’Alain Veinstein se lisent comme la perspective d’une vie, une direction retrouvée, un apaisement peut-être. Comme Frémon l’écrit pour clore son texte, « c’est la peinture qui parle, pas le motif ; une écriture se déploie sans entraves ».

 

Hugo Pradelle