Question de, n°2

« La Genèse n’est point achevée et il nous faut prendre conscience de nous-mêmes et de l’univers. Il nous faut dans la nuit du monde jeter des passerelles ». Au seuil du n° 2 de la revue Question de , « La Nature, miroir du divin », il y a cette très belle citation de Saint-Exupéry. Cependant ce n’est pas chez l’auteur de Citadelle, dont est tiré cet exergue, que le thème de cette nouvelle livraison a été puisé, mais du côté de Spinoza. Par ailleurs animateur de Nouvelles Clés, le magazine des spiritualités, le directeur de la publication Marc de Smedt a invité ses contributeurs à réfléchir à la fameuse formule du philosophe : « Dieu, c’est la nature ». Articles de fond, témoignages, archives ou entretiens, ils sont une trentaine – journalistes, scientifiques, aventuriers, poètes, religieux, ethnologues… – à méditer la pensée spinoziste. C’est feu l’écrivain naturaliste Jacques Lacarrière se montrant, presque religieusement, à l’écoute des arbres ou le poète Christian Bobin, non moins attentif aux leçons de choses, rappelant que « la nature parle lèvres closes ». C’est l’astrophysicien Hubert Reeves qui, depuis toujours, ressent face à la nature quelque chose comme de la « sidération ». Ce sont encore Pierre Rabhi, pionnier de l’agriculture biologique, qui appelle à « remettre de l’esprit dans la matière » et le botaniste Jean-Marie Pelt qui veut donner, dans le cadre d’une « spiritualité laïque », « un peu de verticalité à l’horizontalité ». C’est aussi la navigatrice Isabelle Autissier qui s’en remet à la puissance de la mer ou l’explorateur Jean-Louis Étienne, « fasciné par le miracle du vivant », et qui éprouve vertiges et extases lors de ses expéditions aux confins… Ailleurs, de nombreux textes dépaysent également la réflexion, la désoccidentalisent disons, regardant vers la Chine et le Japon, vers le soufisme, la sagesse traditionnelle indienne et les traditions bouddhistes ou se penchant sur le mode de vie de tribus reculées d’Amazonie. Dans cette livraison à entrées multiples domine surtout ce sentiment de grandiose ou d’osmose qui étreint les êtres, d’où qu’ils viennent et où qu’ils vivent, croyants ou non-croyants, quand ils sont au contact ou au cœur de la nature. D’ailleurs, plus, peut-être, que du divin, il est avant tout question dans ces pages du sublime, ce sentiment ambivalent, de crainte et de contemplation mêlées, d’avoir devant soi quelque chose d’infiniment grand et, comme tel, défiant la raison.

 

Anthony Dufraisse