Une revue bien insolente

 

Numérique, gratuite – ne dédaignant pas les dons! –, Restes est une revue bien insolente : son geste premier est d’exclure, en effet, de ses pages les auteurs franciliens ! Voici une initiative inédite et plutôt réjouissante dans un univers littéraire dans lequel Paris et ses alentours tentaculaires se posent en nombril inaltérable, intouchable de la création. Pour faire pièce à cette domination outrageante, Restes entend proposer une « littérature alternative », française et francophone : ce sont donc des mots d’ailleurs, ces « restes » que la revue veut accueillir, valoriser. Faire la nique au premier de la classe, c’est la classe !

 

S’ajoute une autre ambition, moins décisive (car moins rare) mais tout aussi stimulante : publier de la littérature expérimentale, à entendre ici moins dans une volonté d’offrir des formes et des écritures résolument novatrices et radicales que dans une attention à ce qui s’essaie, se bricole, s’invente, se reprend, se repent sans souci de genre quoique… dans un oukase supplémentaire la « poésie » est proscrite. En fait non, on lira…

 

 

En ce premier numéro, 50 pages et 11 auteurs montent à l’assaut afin de donner corps au programme de Restes « revue de création littéraire, et peut-être plus encore littérature en création ». Et comme il se devait, chacun des auteurs est épinglé depuis le lieu d’où il/elle parle : du Rhône au Calvados en passant par le Finistère, les Landes, l’Hérault ou encore le Maroc. Chacun jugera si l’inscription géographique des auteurs teint peu ou prou la couleur des textes proposés, au demeurant fort divers dans leur tonalité comme dans leur formats, de quelques lignes à plusieurs pages. Dans leur variété, il est bien cependant quelque chose qui relie la plupart de ces créations, une étrangeté, « une inquiétante étrangeté » : du beau bizarre. Tranche ici la sotie – « Vains écrivains de province ? » –  proposée par un incertain – sera le seul auteur nommé – Pierre Fontanel (un pseudo) du Cantal qui met en scène un Martin professeur de campagne à la sensibilité écornée et poète en jachère dans la petite comédie provinciale et subventionnée du Livre (ses financeurs, ses résidences, ses animations en médiathèque, ses ateliers d’écriture, ses auteurs du cru et ses sommités en goguette…) : manière de mise en abyme mi-mélancolique, mi-narquoise du propos même de la revue.

 

Assurément dans ces restes, le lecteur découvrira beaucoup de fraîcheur à embrasser: peu d’auteur.e.s aguerri.es, des plumes plutôt en devenir qui, à l’écart de l’interdit parisien balisant la revue, nous convient à parcourir le territoire qu’ils inventent.

 

C’est une bien aimable chose que Restes, d’une tenue impeccable depuis l’éditorial alerte et vigoureux – « Manifeste ? »  qui se conclut par cette invitation « Bienvenue en extramuros » – jusqu’à la page de souhaits finale qui, à l’image de la revue elle-même, s’énonce comme un chantier ouvert et salue ses lecteurs « en fiers pionniers d’une aventure que l’on souhaite longue et dodue de surprises ! »

 

Frédéric Repelli