RIP – Revue critique et clinique de poésie, n°1

 

« C’est à plusieurs que s’écrit le moindre
poème, avec les autres que je suis aussi,
avec les nous qui sont notre peuple intérieur
et notre peuple extérieur. » Stéphane Bouquet

 

« Comment faire tenir debout l’acte d’écrire,
et le penser, le vivre dans son organisation
des signes comme un flux ? » Jean-Clet Martin

 

« La littérature : brasier.
Parfois on peut faire une pause de
cendres. Pas d’inquiétude :
la braise couve dans la page à côté. » Hélène Cixous

 

RIP comme Résistance Intemporelle Poétique ? Non, pas vraiment : cela aurait un peu sonné « old school »… C’est avec la volonté que « littérature et poésie rippent politique » qu’Antoine Dufeu et Frank Smith ont lancé cet objet littéraire bien conçu dont le support est mixte (parution annuelle en papier, puis sur le site).

 

Rien d’étonnant, donc, à ce que l’édito de Michel Butel figurant sur le rabat de couverture s’interroge sur notre situation tragique. À la question du « que faire ? », il répond : « penser chaque question (politique) dans le seul souci de mieux définir l’impossible en elle – la zone de non-réponse ? ». Pour lui, en ces temps de déréliction, nous devons exiger rien moins que l’impossible. Contre les catastrophes en tous genres et les flux homogénéisants, l’écriture comme mise à l’épreuve. Contre la pathologie des discours ambiants, la critique du langage et le délire créateur. Un passage éclaire le projet de la revue : « la clinique est presque congénitalement liée au geste critique. En faisant exploser la langue, les moyens classiques du Sens, la Raison s’effondre et par conséquent la création d’une forme inédite induit un vertige éprouvé par tous les grands auteurs. On est d’ailleurs nécessairement grand lorsqu’on adopte une posture critique, une position qui sort la tête de la boue » (Jean-Clet Martin). Ses cibles majeures : l’antihumanisme et l’ « intellectuel grossier ».

 

Ira-t-on jusqu’à parler de « stupide XXIe siècle » ? Ce siècle dont on trouve un « bref résumé » : « au début du XXIe siècle, armée jusqu’aux dents, l’humanité était entièrement désarmée devant sa propre évolution » (Pavel Hak). La bonne nouvelle est que le progrès technoscientifique n’a pas tué la poésie, qui aspire et inspire le monde : « tout est à réinventer » (préambule). Quand il y a urgence, la poésie préfère Eros à Thanatos.

 

Tête d’Éros, Walters

 

La fragmentation des textes non signés – dans lesquels on navigue grâce à une architectonique subtile (à chaque numéro correspond un auteur selon un tableau de concordance) – est expliquée dans le préambule : « la littérature a valeur d’expérimentation, d’acte de création • pliage d’un texte sur l’autre »… Car « c’est à plusieurs que s’écrit le moindre poème » (cf. exergue)… Les jeux graphiques nous font tourner le livre en tous sens, nous forçant littéralement à renoncer à tous sens préétablis. Entre vers et prose, minuscules et majuscules, français et anglais ; de Maxime Actis en Cécile Wajsbrot, en passant par Amandine André, Michel Butel, Stéphane Bouquet, Jean-Philippe Cazier, Hélène Cixous, Claro, Pavel Hak, Alain Jugnon, Jean-Clet Martin, ou encore Fabien Vallos, ainsi déambule notre lecture nomade.

 

En ces temps tragiques, voici une revue qui donne à penser de façon stimulante – avec Deleuze en toile de fond, mais pas seulement.

 

Fabrice Thumerel