Sigila n° 45 : un numéro invisible

 

Rendant compte du précédent numéro de Sigila, notre compère Kéravec s’étonnait ici même de la longévité de cette revue animée par Florence Levi. On ne peut que partager ce sentiment à chaque fois qu’on découvre une nouvelle livraison, dont la feuillaison est toujours aussi luxuriante. Qui aurait cru, il y a vingt-deux ans, que cette publication semestrielle saurait se renouveler tout ce temps, encore et encore, jamais répétitive, toujours variant ses approches ? Car faut-il le rappeler, son pari est d’autant plus fou qu’il est double : une parution franco-portugaise sur le thème du secret ! Comme quoi, l’improbable aura su se faire durable… Il faut croire que ce fil conducteur a de la bobine en stock ; inépuisable, intarissable, increvable allait-on dire (comme on le dit d’une énergie sans cesse à l’œuvre), cette problématique du secret tantôt est traitée pour elle-même, tantôt comme encapsulée, disons, à une notion qui lui est toute proche au point, parfois, de se confondre avec elle. C’est le cas de ce 45e opus qui porte sur l’invisible et prend comme boussole une phrase de Julien Green : « Le grand péché du monde moderne, c’est le refus de l’invisible. » La vingtaine de contributeurs du dossier, elle, ne se refuse rien, et certainement pas de pousser toutes les portes du savoir : ici la littérature, là l’acoustique, ailleurs la religion, plus loin l’art, pour ne citer que quelques domaines abordés. C’est que la revue, rappelons-le si besoin était, a la transdisciplinarité dans le sang, comme elle l’a, d’ailleurs, dans la diversité de ses actuels (Pierre Brunel le comparatiste, Anne Raulin l’anthropologue…) et anciens grands parrains (Françoise Héritier, Derrida, Starobinski, Vidal-Naquet…).

 

Mais revenons à l’invisible, cette boule à facettes. Si le penchant naturel de votre serviteur pour l’art et la littérature le conduirait à s’attarder sur des textes strictement littéraires (au hasard, celui de Pierre Dubrunquez sur le travail d’un peintre troublé par l’incertitude de sa vision, celui de Mathilde Ayoub sur un historien à la recherche d’une introuvable, donc invisible collection d’art moderne dans un pays arabe, ou celui d’Antonio Vieira commentant avec profondeur Le Visible et l’invisible, ouvrage inachevé et posthume de Merleau-Ponty), sa curiosité tout-terrain contredira cet élan spontané pour aller voir ailleurs. Par exemple, on tâtera plutôt de la neuropsychologie, bien guidé par la très pédagogue Sylvie Chokron sur le sujet des informations captées par nos mirettes : « Les recherches actuelles en psychologie et neuropsychologie cognitive visent à mieux comprendre pourquoi et comment notre cerveau choisit, à notre insu, de révéler à notre conscience certaines informations visuelles alors qu’une grande partie de celles-ci reste invisible. » Ou alors on s’initiera, renseigné sur la question par le duo de chercheurs Gralak et Guenneau, à la modélisation électromagnétique (si, si) dont on ne soupçonne pas les applications pratiques possibles en matière de génie civile (vous découvrirez ainsi comment invisibilité et transparence peuvent avoir partie liée avec… les vagues et les séismes). Et , rendez-vous habituels de chaque numéro, celui-ci comporte son « Anthologie du secret » (work in progress accueillant cette fois des traductions de Luis de Caomes, Lidia Jorge, Abreu Paxe, Cecilia Meireles entre autres) et un ensemble de lectures et de signalements en rapport avec, devinez quoi ?, mais oui, le secret… o segredo !

 

Anthony Dufraisse