Tenou’a : Tout un programme !

 

Agite les pensées juives, est-il mentionné en sous-titre de Tenou’a. On pourrait ajouter : mais pas seulement. De fait, voilà un numéro, Rêve d’école, qui devrait être raconté, et lu, au-delà de toutes les communautés, par toutes les communautés : éducatives, parentales, estudiantines, politiques, philosophiques, etc. Pourquoi ? Parce qu’il traite de l’école et de ses à-côtés, sa fonction et ses modes de faire, sa mémoire et son avenir. Tout un programme donc, énoncé dès l’entrée en matière, avec un juste rappel, logique et étymologique : « Apprentissage progressif en fonction de l’âge, adapté à chacun, humilité du maître, étude tout au long de la vie, transmission de l’amour d’apprendre, ce n’est sans doute pas un hasard si le yiddish désigne par un même mot école et synagogue. » Rappel que le lecteur pourra prolonger par une digression sur le mot Schul (yiddish), qui se confond allègrement avec la Schule allemande, la scola latine ou encore le grec skholé (« École et élection », par Marc-Alain Ouaknin).

 

Qu’est-ce qui fonde l’école juive ? Pour le dire sans ambages et avec une majuscule, l’Écoute, cette chose qui se pratique en groupe, s’échange à plusieurs, se multiplie par deux, voire plus. Ici un maître, là un élève, mais les places ne sont pas figées et il n’est pas rare de voir l’enfant occuper l’une avec l’autre : « C’est à travers les discussions enfantines que le monde se maintient, nous enseigne le rabbin Juda de Ratisbonne. Ces discussions innocentes qui ne laissent pas indifférents les adultes qui les surprennent – où tout est encore sujet à un apprentissage émerveillé et émerveillant. » (Gabriel Abensour, « La respiration des élèves »)

 

 

 

Ce numéro de Tenou’a surprend aussi et d’abord peut-être avant tout par sa liberté de ton. Un écrivain, Laurent Sagalovitsch, se souvient de sa cancritude, tandis qu’un autre, Ivan Jablonka, pour ne pas le nommer, rend un hommage aussi ému qu’appuyé à un professeur de grec ancien qu’il n’hésite pas à judaïser en un « Cher rabbi Lavoux, de mémoire bénie ». Il n’est pas jusqu’aux mathématiques, mais si mais si !, qui ne trouvent et ne conduisent l’adolescent sur une voie royale : « L’élégance existait, même en mathématiques ! Trouver le résultat n’était pas tout. Le chemin emprunté pour l’obtenir était tout aussi important. » (cf. le très beau « Une clef de 12 à la main » d’Élie Papiernik). Un peu comme si l’école émancipait et s’émancipait d’elle-même…

 

Mais qu’est-ce que l’école juive a donc de plus qu’une autre ? C’est qu’elle est une école… autre, mais surtout, une école qui apprend l’autre. Un lieu d’altérité et d’expérimentation, ou, si l’on préfère, une manière de rebattre les cartes de la laïcité (voir l’entretien avec Gabriela Goldberg et Rivon Krygier, respectivement directrice et rabbin à l’initiative du projet de l’École juive moderne située dans le 17arrondissement de Paris). D’une grande justesse est à cet égard le rapprochement de l’« exercice » de la psychanalyse avec la question, et la réponse…, de l’éducation : « À cette patiente j’ai donc répondu : « Vous me demandez à moi si je peux faire quelque chose ». Puis je lui ai dit : « Je veux bien continuer à travailler avec vous ». Elle a ri : le travail pouvait commencer. » (« Une éducation à l’envers », Judith Toledano-Weinberg).

 

Mais l’école n’a pas toujours fait rire tout le monde. Il en est ainsi de l’artiste Christian Boltanski raconté par son neveu Christophe : drôle d’animal qu’il était, et qui n’est pas sans rappeler le lunaire, sinon lunatique, gamin de Duras, Ernesto, celui qui ne veut plus aller à l’école parce, dit-il, « on veut m’apprendre des choses que je ne sais pas » ! Boltanski rejettera très tôt la chose scolaire avant… d’enseigner pendant plus de trente ans aux Beaux-Arts. De même Céline Nieszawer, qui revient en photographie sur les lieux, relatifs, de son échec, avec sa facétieuse série Scola post-lectionem. Encore et toujours l’école, même après l’école !

 

 

Roger-Yves Roche