Toute la lire no 4

 

Après deux numéros passionnants en réel partage avec la revue 591 de Jean-François Bory, Toute la lire retrouve son format, son rythme, son élégance d’origine, sous une couverture d’un jaune pâle au centre de laquelle réapparaît l’improbable silhouette noire de son animal fétiche, mi insecte, mi hérisson, tamanoir, kiwi ou paon aux plumes coupées court, allez savoir.

 

Rendre compte d’une revue n’est jamais simple. Entre une succession de résumés d’articles, reprise du sommaire ou commentaires souvent convenus, comment trouver une juste place pour une appréciation de lecteur, sans s’imaginer lecteur en surplomb, lecteur patenté ? L’exercice n’est pas évident, il se nourrit de modestie, de distance critique, de bienveillance aussi. Mais il est des revues qui d’une certaine façon parle d’elle-même en offrant un espace plastique et mouvant aux auteurs qu’elles mettent en dialogue, en opposition parfois. C’est le cas de ce Cahier n° 4, qui nous conduit, par des chemins très différenciés et pourtant d’une presque vibration commune hors de toute rivalité, de pages d’entretiens à celles qui interrogent l’écriture de comédie, de prose ou de poésie, de contributions au caractère académique à des pages accueillant des textes de création, « feuilles volantes » où l’on croisera des poètes chinois menglong, un vade-mecum strophique pour voyager du côté de Beograd ou une étrange rencontre entre Joyce et Beuys, instruite par Beurard-Valdoye.

 

Christian Désagulier, intervenant à deux reprises et maître d’œuvre de cette revue, a le goût de l’accueil et du paradoxe. Nommons ses invités, par ordre d’apparition : Jean Daive, Patrick Beurard-Valdoye, Jacques Sicard, Pierre Brullé, Élisabeth Richard-Berthail, Nathalie Léger-Cresson, Roxana Paez, Frédéric Metz, Miguel Angel Petrecca, Pascale Petit et Jean-François Bory. En arbitre discret, Christian Désagulier joue des vertus qu’offre sa revue de pouvoir (r)assembler des voix qui par ailleurs et en d’autres lieux préfèreront le plus souvent creuser leur sillon en solitude. Ici, liés par une police de caractères sobre et efficace qui ne contraint pas les effets d’une mise en page originale, voisinent non pas des contenus qui se contrediraient (ce serait là un jeu peu utile) mais des approches qui font la preuve qu’il n’est pas qu’une seule bonne et juste voie pour analyser, réfléchir et éventuellement créer. La variété des formes présentées, sans toutefois se transformer en un inopportun pandémonium, fait la preuve que l’approche de l’émotion, quelle qu’elle soit, n’est possible que dans une multiplicité bien pensée des pratiques offertes. Et, à ce déploiement, ce dépliement de formes et d’images, se mêlent à seize reprises, trouvant leur place parmi des photos témoignages, animalières et filmiques, les dessins « plans d’évasions nocturnes » de Frédérique Guétat-Liviani, en hommage, depuis les frères Grimm jusqu’à Alejandra Pizarnik.

 

Ce Cahier de poégraphie n° 4 demeure ainsi fidèle au sillage hugolien tortueux que laissa le recueil posthume Toute la Lyre, ensemble hétéroclite dans lequel l’un des poèmes porte comme titre, comme programme dirait-on de nos jours, Je ne vois pas pourquoi je ferais autre chose. Autrement, soufflerait Christian Désagulier.

 

Yves Boudier

 

 

Toute la lire. Cahier de poégraphie n° 4, juin 2022, avec 16 plans d’évasions nocturnes de Frédérique Guétat-Liviani, 202 p., 19 € Publication des éditions Terracol