Un goût d’haïkus

 

Dans la très attachante famille des micro-revues, on demande Libelle, Cabaret et Confiture. Nous avions déjà groupé ces trois-là dans une précédente chronique il y a deux ans. Reformons le trio puisque l’occasion se présente à nouveau. Honneur, dans cette triplette, à l’aînée, on a nommé Libelle no 358. Cette libellule aux ailes fragiles (une feuille A4 pliée en deux et imprimée recto-verso) volette à sa guise en territoire poétique et se pose une fois par mois pour décharger sa précieuse cargaison. Ce sont une bonne vingtaine de fragments, d’extraits, de bribes que réunit ici Michel Prades, qui pilote l’odonate de papier. Ce choix de la brièveté frustre un peu, d’ailleurs ; peut-être vaudrait-il moitié moins de textes, mais plus longs… Dans le lot il y a un certain nombre de haïkus, signés Monique Merabet, Line Michaud, Frédéric Maire ou Mike Montreuil. Veut-on des exemples ? C’est Brigitte Marmol qui s’interroge : « Comment dire non / au vent / qui forcit ? » ou Robert Melançon, comme surpris par ce constat auditif : « Les bruits des voitures / je les entends de la même / oreille que les oiseaux ».

 

Des haïkus, il y en a aussi beaucoup dans le no 48 de la revue Cabaret qui se présente, rappelons-le, sous la forme d’un livret au format A6 d’une vingtaine de pages. À commencer par celui de la rédactrice en chef Aline Recoura qui donne le la : « Le soleil tourne / embaume de menthe / d’un pays à l’autre ». Suivent ceux, plutôt champêtres et contemplatifs, de Pierrette Floch (« En ce jour pluvieux /  le sourire d’une jonquille / nous rend plus heureux ») ou ceux, teintés de mélancolie parfois, de la libanaise Gracia Bejjani (« En marge du matin / soleil blanc comme lune / mes yeux, encre vieillie »). Des paroles qui voisinent avec celles de la lilloise Sarah Pheulpin-Coquel, qui forment une sorte de carnet de bord de flashs quotidiens dont voici un double aperçu : « Tu cours oppressée / bouche-à-bouche avec le vent / l’air fou mord tes yeux » ; « La suie perle un peu / le métro craque toutes les nuits / ils sont de passage ». Des haïkus, on en trouvera d’autres encore, sous la plume de Minh-Triet Pham, peut-être celui qui se rapproche le plus de l’esprit originel – l’épure – du genre (« La tête sur un oreiller d’herbe / se balader / dans le bleu du ciel ») ou sous la signature d’Olivia HB, dont la tonalité souvent décalée nous plaît davantage encore : « Feu rouge / trois femmes et un divan / traversent la rue ».

 

Et puis il y a l’encore jeunette (elle a été fondée en 2022) et mignonnette Confiture, cette revue imaginée par Adrien Lafille et qui a des allures de très classieux carton d’invitation (14,8 x 21 cm). Cette 9e livraison* accueille Julie Sas et son texte intitulé Trash tour, lequel aurait tout aussi bien pu être titré Crash-test. Est-ce de l’écriture automatique ? On se le demande, cela y ressemble. Soyons franc, on n’est pas sûr d’avoir tout bien compris mais enfin, ça nous parle quand même, comme on dit, cette histoire qui « manipule des actes de langage ». Seulement le langage ou le lecteur aussi, un peu ?

 

Anthony Dufraisse

 

* La revue Confiture s’est arrêtée au numéro 12.