Une fraîche revue : Congre no 1

Comment les mots viennent-ils en tête ? Pourquoi est-ce glauque qui m’arrive, pour évoquer cette nouvelle revue, Congre ?

 

L’appui de dictionnaires vérifie congruence (si technique, médicale), je n’ose croire à incongru. Je connais le poisson, pas noble mais goûteux, robuste prédateur des côtes rocailleuses. J’ai trouvé : rajoutez un « s », s’il vous plaît. Lisez, à présent. À voix haute : un « congrès » !

 

Mais alors, pourquoi « glauque » ? Ce terme aurait acquis tout récemment en somme sa connotation péjorative. À l’instar du glaz breton, c’est une couleur atmosphérique, qui se rapporte à la mer, bleue/verte/grise, indifféremment, changeante en tous cas. Donc du maritime, un titre poissonneux, une jaquette opaline, laiteuse. Transparente.

 

Titre et sous-titre (revue de poésie du collectif Congre) sont typographiés au plomb et bois en noir intense sur un calque épais par Christian Laucou (Bannes). Mais personne ne signe le dessin shadockien qu’il recouvre. Nous ne saurons pas non plus l’auteurice des silhouettes qui vont nous retrouver parfois, esquissées en bas de page. Alors que lames de tarot morbides et vignettes inquiétantes (glauques ?) signées Elio Cuilleron vont rythmer la lecture de cette nouvelle revue de poésie actuelle.

 

 

Pour en achever la description physique, elle mesure 15 x 24 cm et comporte 156 pages sur papier bouffant. Elle est éditée par l’association Congre qui publie aussi des objets-livres à petits tirages : quatre titres en 2024. Elle a ses quartiers à la Librairie Tschann, boulevard du Montparnasse à Paris. Le directeur de rédaction est Bastien Fery, le directeur de publication est Léon Poirier : une homonymie de hasard, avec le célèbre tôlier de cette vénérable enseigne, au beau prénom, Yannick ? Le comité, eh bien, c’est l’« ensemble des congri congri en capacité d’exercer ».

 

La revue propose un préambule et 10 textes écrits par douze auteurs, parfois à quatre mains. Rodrigo A.P. Morgado partage ainsi l’inspiration avec Teresa Miani, pour ouvrir le sommaire, et avec Samia Idyl pour le clore. Dix-sept pages accueillent les textes de Bastien Fery et Arthur Haidari. Les inspirations, diverses, s’appuient sur l’époque, ses noirceurs et inquiétudes. Les premiers mots, en Préambule, « Puisqu’aujourd’hui condamne à la déportation, pas d’équivoque », sont suivis d’évocations du travail d’équipe, des affres de la création et du bouclage, du temps aussi et des moyens : toute la revue en est traversée, et de la propension à boire, pour consoler, imaginer, pour oublier.

 

« Les poètes peine-à-vivre peuvent aller boire de l’essence

 

Pendant que les congres volent dans le ciel à bière » (Préambule)

 

 

Ce ne serait donc qu’une hallucination éthylique ? Non, ce beau volume tient bien en mains, vaut son pesant de papier et d’encre.

 

L’objet ne dégage pas que du sombre. La revue est généreuse en espace, pages intercalaires, illustrations je l’ai dit. Blaise Brulard, Fanni Engel sont les moins prolixes : son « Triptyque », sa « Cassure » occupent trois pages, quand d’autres poèmes prennent la place nécessaire et généreuse de quatorze pages pour Alexis Audren, quinze pour Léon Poirier, seize pour Cyprien Fohr.

 

Les « Déportements » du premier font large place à la vue, monde de couleurs et de respiration, occupant toute la surface, dilatés.

 

« Vous m’avez laissé tout l’espace… » écrit-il fort à propos.

 

Le « Chien fou » de Léon Poirier n’est pas l’aimable compagnon de jeu, bondissant : si je vous dis « rouge » c’est « sang » qui advient, puis « brun » ; le pelage est « éventé » ; il y a « ruban », « jerrican » : allez jusqu’au bout, tout était en germe (le sous-titre est « Ruines »).

 

Le troisième numérote ses « Petites liturgies de l’absence divine » de I à XIII. Vers la fin, ces vers lucides (?) :

« Je parle trop,

Je pense trop,

J’écris trop pour bien vivre »

précèdent en conclusion

« Je dois cesser de m’ébouillanter,

Verser le plâtre à mes oreilles

Et attendre »

 

De l’inquiétude certes, comment y échapper, mais Congre constitue magistralement un remède au désespoir, qui affirme le groupe comme rempart et avenir, comme force de proposition, comme creuset d’inspiration (et joyeux compagnonnage).

 

Yannick Kéravec

 

Coordonnées de la revue