Spasme : une revue érotique aujourd’hui

Dès la première page de son n° 0, la revue Spasme donne le ton et s’engage dans une démarche peu commune qui remet la pulsion sexuelle au cœur de l’élaboration d’un espace de création collective. On y lit : « nous cherchons à fonder ici un espace de projection collectif et en évolution » qui, si l’on comprend bien, contribue à l’érection d’une réflexion autour du désir, de l’appétit sexuel, du geste érotique, qu’il semble nécessaire de dévoiler, d’exposer, plutôt que de le dissimuler.

 

La place de l’érotisme dans le monde contemporain, conçu donc dans un univers libéral et capitaliste qu’il faut prendre en compte dans ce qu’il induit dans nos représentations, n’est pas simple. On cache, on circonvient, on euphémise. Ou bien, on exploite et on exhibe. Spasme entre en lutte contre un silence, une dissimulation, un effacement, un refoulement. Au travers de contributions diverses – écrites et visuelles – il s’y organise une collection d’instants, de gestes, d’idées. Spasme « est une invitation à traverser une collection de contemplations érogènes comme on s’engouffre dans nos propres pensées, à pénétrer dans l’imaginaire intime des autres en vue de bousculer et d’aiguiser le nôtre. » La sexualité, l’érotisme, deviennent une expérience qui traverse les individus plutôt qu’elle les isole.

 

La revue obéit à une scansion, à des sortes de stances narratives entrecoupées de dessins – une couleur thématique pour chaque numéro, ici, le rouge et le bleu – qui font s’apposer des univers extrêmement distingués. On pourra noter, par exemple, que la deuxième livraison qui explore des situations, des configurations plutôt, érotiques obéit à une narrativité nettement plus marquée que le n° 0 qui inscrit le désir dans l’espace urbain contaminé par une dimension sexuelle ou qui en produit des configurations singulières.

 

Spasme n°1, p. 5

Spasme n° 0, p. 33

Spasme n° 1, p. 21

Souvent l’érotisme, en particulier dans sa forme écrite, semble réduit à une hyper subjectivité univoque, circonscrite. On a tendance à s’en protéger en singularisant l’expérience. Spasme – qui porte assurément très bien son nom ! – fait surgir une dimension pulsionnelle qui, habituellement, se tait. La littérature érotique obéit à une tension entre le vu et le caché, à un ordre du langage qui montre en même temps qu’il reconnaît une forme d’impossibilité à y parvenir. Le n° 1 de Spasme se propose donc comme « un interstice entre voiler et voir », comme si l’équipe menée par Anne Devoret et Louise Oliveres voulait affirmer, coûte que coûte, la place nécessaire de la prose et de l’image érotiques dans le corps social autant que dans l’imaginaire.

 

Spasme articule, avec plus ou moins de succès – car on sait bien que les textes érotiques touchent ou ne touchent pas, que le cliché, la facilité de langage y affleurent souvent, que ce n’est pas un genre évident – les rapports compliqués que chacun de nous établit avec son corps, celui de l’autre, avec les lieux aussi et les objets qui nous entourent. Proposer une revue qui met en partage, aujourd’hui, des fictions et des textes érotiques semblerait presque incongru si on n’y reconnaissait pas une volonté de questionnement assez forte et radicale qui remet en cause des manières de représenter, d’explorer, sous des formes artistiques, un imaginaire intime qui soudain s’expose. Spasme relève donc d’un partage, d’un grand partage, avec tous les risque que cela comporte, qui s’attache à réintroduire des formes esthétiques dans le cours de la vie.

 

Hugo Pradelle