Eigensinn, terme allemand qui peut se traduire par indocilité, ténacité, résistance, tel est le titre de cette nouvelle revue belge publiée par l’université de Liège. Son sous-titre précise : « Études rusées sur lieux communs », formule et programme alléchants. C’est une revue résolument féministe (ce qu’on perçoit d’entrée de jeu à la lecture de l’ours dont tous les membres, fait peu commun, sont des femmes). Dirigée et éditée par des universitaires et chercheures en sciences humaines, elle souhaite faire dialoguer différents savoirs et disciplines sur des sujets tirés de l’ordinaire et souvent ressassés tels que le mariage, thème de ce passionnant premier numéro, illustré par de beaux collages de Laura Nefontaine.
Ce recueil offre de multiples points de vue sur cette pratique existant déjà dans l’Egypte ancienne et l’Antiquité grecque et devenue une véritable institution au fil des siècles. Cependant, derrière une apparence de mutualité et de réciprocité, l’inégalité entre les sexes y reste bien présente précisent d’entrée Caroline Glorie et Justine Huppe, les deux rédactrices en chef. Et c’est ce déséquilibre, ce manque de symétrie entraînant parfois nombre de drames familiaux, qui fait notamment l’objet de plusieurs articles de ce numéro (Anne Verjus, Maud Hagelstein).
Une autre ligne directrice est l’omniprésence et la pression des États sur la manière dont il convient d’être un couple et de constituer une famille. Des articles sont ainsi consacrés aux mariages entre personnes de même sexe et les lois mises en place ( non sans heurts en France), pour le légaliser (Gianfranco Rebucini, Michael Stambolis-Ruhstorfer, Grégory Cormann). Les mariages mixtes, quand à eux, sont fréquemment régulés par des gouvernements souhaitant contrôler les population immigrées. Un exemple inattendu en est donné avec la manière dont des pays d’Asie du sud-est encadrent les droits des falang (occidentaux) épousant des femmes thaïlandaises ou laotiennes (Mimy Keomanichanh et Asuncion Fresnoza-Flot). Aux Pays-Bas, un exemple paradoxal montre combien les conceptions racialisées du mariage y sont toujours bien vivaces malgré une campagne publicitaire mettant en avant la totale liberté de choix du conjoint qui y régnerait. De fait, elle fait pression sur les femmes musulmanes pour les « libérer » de mariages au sein de leur communauté qui feraient toujours d’elles des victimes (Sherilyn Deen). Enfin, l’omniprésence de la biopolitique et le rôle essentiel du mariage pour l’économie d’un pays – comme pour la supériorité financière des hommes puisque le travail des femmes y est gratuit- traversent l’ensemble du numéro.
Et l’économiste Hélène Perivier nous rappelle au cours d’un entretien que John Stuart Mill a décrit le mariage comme un « carcan » pour les femmes et qu’il appelait « à un renouvellement de cette institution pour que celle-ci s’appuie sur une vision du couple en tant qu’association libre de partenaires égaux ».
On ne peut que souhaiter y parvenir dans un avenir proche, que ce soit dans ou hors du mariage !
Christine Langlois