Venins, revue hybride

 

Il y a des revues qui s’imaginent comme des objets. Qui le deviennent en quelque sorte. Qui se présentent comme à côté d’elles-mêmes, altérées. Elles portent un soin particulier à la manière dont elles s’agencent en tant qu’objet. Elles mettent en avant leur fabrication, une technique. C’est cette originalité de dispositif, de forme, de matière, qui frappe immédiatement. Elle se déploient autrement que des livres, tout simplement.

 

Les exemples seraient légions. On pensera à DéZopilant, Gruppen, Dépli… Parfois, on craindrait que la prouesse technique, la quête de l’originalité formelle, ne se fassent aux dépens du fond, de la qualité du texte, des interventions qui sont au cœur d’une revue. C’est parfois le cas, objets atypiques, bien souvent éphémères, propositions ponctuelles, aventures d’un moment ou d’un groupe. Ce choix radical peut poser question, mais il s’aborde comme une aventure qui s’ouvre, qui commence, qui fait lire autrement.

 

C’est le cas d’évidence de Venins, née en 2020 et publiée par les éditions Aencrages & Co qui propose à la fois une forme très originale et repose sur un concept hybride qui entremêle poésie, édition d’art et création sonore. Il est bien souvent malaisé de décrire ces revues aux formes très originales, qui ne ressemblent à aucune autre. Venins se présente sous la forme d’une pochette de 45 tours (cela pourra être à l’avenir de 33 tours) dont la pochette de chaque côté se découpe d’un cercle qui laisse voir une illustration. Pour ce numéro inaugural : une image mauve représentant une « pomme poison » et quelques vers en persan de Sohrâb Sepehri. Cet étui contient un beau poème unique de Forough Farrokhzâd intitulé « Couple » traduit par Laura et Adeshir Tirandaz. Se superpose à ce double feuillet cousu au fil vert un calque sur lequel s’imprime la version originale du texte.

 

C’est donc à la fois une entreprise simple et sophistiquée, quelque chose qui surprend, ouvre un appétit. Mais Venins propose de renchérir l’objet par une plateforme sonore qui rassemblera des créations, des lectures. Pour cette première livraison, une mise en son d’un autre poème de Forough Farrokhzâd intitulé « Je saluerai encore le soleil ». Que va devenir cette publication très élégante, comment va se déployer cette proposition créative hybride entre objet, poème, image et création sonore ? On ne sait, mais en gagnant en ampleur, cette entreprise tout à fait originale est à suivre résolument.

 

Hugo Pradelle