Zadig : les nourritures terrestres

 

 

Zadig publie son huitième numéro et entame sa deuxième année d’existence en choisissant, dans le contexte actuel, de revenir à des choses essentielles. Comme l’écrit Éric Fottorino dans son éditorial : « Alors oui, parler des nourritures terrestres quand les nourritures spirituelles ont quelque chose de pourri, le détour nous a paru revigorant. Nécessaire même. » Ainsi s’annonce un dossier intitulé « Mieux manger » qui comprend des contributions très variées et des points de vues souvent originaux qui, comme une table de fête, regorge de plats et de friandises délectables.

 

Le dossier s’ouvre sur un entretien avec Gilles Fumey, spécialiste de géographie culturelle, qui commente les habitudes alimentaires de nos contemporains et les modifications de notre consommation. Il l’envisage comme quelque chose d’assez « brouillon », plein de contradictions. Il y démonte quelques idées reçues et une manière d’autosatisfaction hexagonale qui fera sans doute et sourire et grincer des dents. Sans tenir compte d’un ordre de dégustation, on recommandera le portrait de Pierre Moussaoui qui se passionne pour les plats issus de l’Antiquité (on notera l’effervescence éditoriale sur l’influence de cette période ces temps derniers), ainsi que l’intervention panoramique fort bien troussée de l’historien Patrick Rambourg qui étudie les traditions et les habitudes culinaires des Français depuis le Moyen Âge et de la manière dont ce patrimoine, ses représentations, se transmettent. Plus technique, l’analyse d’Hervé Le Bras, démographe bien connu de l’INED (on s’entretenait récemment avec Emmanuel Todd récemment), qui par l’étude statistique s’interroge sur les dynamiques des traditions culinaires territoriales.

 

On y trouvera beaucoup de choses, présentées avec soin et une iconographie variée, comme souvent lorsqu’il s’agit de revues qui frôlent la presse, et comme sur toutes les tables richement fournies on se délectera de certains mets et demeurera circonspect pour d’autres. C’est un peu comme ça avec les grands appétits ou les grandes faims ! On va un peu tous azimuts et la variété donne un peu le tournis. Alors, on picore, on fait comme les Français lorsqu’ils mangent,  on s’accommode des contradictions ou de ce qui n’est pas à notre goût – selon notre subjectivité les textes de Carole Martinez et Marie Desplechin ou certaines illustrations ou graphismes un peu envahissants… – et d’autres, au contraire , appétissants et qui promettent de belles nourritures à se mettre sous la dent.

 

Un long entretien avec Christiane Taubira, l’ancienne Garde des Sceaux, inaugure cette livraison : elle revient sur sa vie, son parcours, ses choix et en montre la cohérence politique et existentielle. On y découvre son parcours de jeunesse, ses emportements, son arrivée en France, la manière dont elle réinvente son identité, sa place dans la société française, les écrivains avec qui elle vit. On y perçoit une filiation intellectuelle et morale qui s’incarne, avec plus ou moins de bonheur, dans l’action politique sur laquelle elle revient dans un second temps. Portait attachant, voix exigeante, on y reconnaît un personnage public très inscrit dans une tradition progressiste française qui aide dans les moments compliqués que nous vivons aujourd’hui.

 

On lira avec intérêt les contributions de la romancière Cécile Coulon que de très belles images accompagnent, l’excellent reportage d’Anne Nivat sur une communauté tchétchène après l’assassinat de Samuel Paty ou bien encore la lecture de Ludivine Bantigny d’un livre d’Alain Dewerpe sur le drame de Charonne en 1962 ou les textes faits diversiers de Régis Jauffret classés par départements… Alors oui, ces nourritures terrestres, qu’elles enchantent nos palais ou nous l’agacent, témoignent d’une énergie assez plaisante et permettent quelques pauses bienvenues dans le chaos hystérisé actuel de l’information.

 

Hugo Pradelle