Boustro se fait coquille, temple pour la poésie

 

Le carton gris de Boustro 4 est plus qu’une couverture, c’est un mur, un bloc rigide de béton armé. Célébré par les capitales bleues enfoncées dans la matière grise, « boustro » devient un corps architectural. Lisse et sans fenêtre, c’est une enceinte scellée. La clef de voûte en est une pince qui résiste fermement à la pression de nos doigts. Mais lorsqu’elle cède, tout se délite. La rigidité grise s’ouvre et nous révèle un univers délicat et précieux. Une forêt hivernale se déploie sur deux livrets souples. Nous voilà immergés dans un monde végétal dansant que les deux blocs protégeaient. Boustro se fait coquille, temple pour la poésie. La maîtrise de la trame d’une illustration, comme l’agencement réfléchit des mots d’un poème, est imperceptible à sa première lecture. Notre posture est celle de la découverte et de l’étonnement : nous nous laissons guider par notre intuition. Le premier poème de Riina Katajavuori semble mettre des mots sur cet étonnement esthétique et sensoriel. Elle nous livre son interprétation, son paysage. Boustro souligne en effet le caractère personnel et singulier des poèmes et de leur poète. En petites capitales et au centre des chaque livret, les biographies des écrivains révèlent les histoires derrières les écrits. Influencent-elles notre lecture de ces derniers ? Des fragments de la forêt en couverture y sont associés. Ils évoquent des pays, des espaces uniques réservés à chaque auteur. Cela fait écho à la diversité de leur origine : l’Allemagne, la Finlande, la Lettonie, etc. La finesse du papier permet le dialogue entre le recto et le verso de chaque feuille. Les illustrations apparaissent derrière les biographies et suggèrent ainsi la transparence dont font preuve les poètes. Luis Chacon Ortiz dans Art Poétique définit la poésie comme une mise à nue. Sa compagne se « dénude face à la caméra » et lui, face à une page blanche. Cette métaphore illustre le rapport du poète à l’autre. Il lui livre son intériorité et attend « [ses] applaudissements ». Luis Chacon Ortiz se démarque alors de la doctrine classique de Boileau à laquelle il fait allusion en reprenant son titre. Se rendre vulnérable en offrant une part de son intimité est faire de sa fragilité une source d’inspiration. Ce que l’on ne dit pas habituellement s’exprime pour devenir un sujet à part entière. La sensibilité, sublimée par les mots, est investie d’un pouvoir manifeste. Dès lors, Boustro est un sanctuaire de l’art poétique, il le fait perdurer.

 

Sophia Hamdouch & Marion Maringe