Françoise Favretto : “J’étais, au fond, une directrice de revue.”

Un éditeur en revues – une série de « gros plans » dont notre site souhaite s’enrichir. Après tout combien d’éditeurs ont commencé revue… Première à l’appel, une éditrice, Françoise Favretto qui dirige LAtelier de l’agneau. Dans un texte enlevé, elle dit combien les revues lui importent, comment elles n’ont cessé de jalonner sa vie de papier. Elle y voit le support idéal pour l’accueil et la reconnaissance d’écritures contemporaines dans leur diversité, le terreau propice à une création partagée et ouverte : la vie même en somme…

Un article sur la première revue de poésie que j’ai « animée » la disait « revue-phare ». Elle était imprimée professionnellement alors que beaucoup en restaient à la simple photocopie, et donnait un grand panorama de tout ce qui se faisait dans l’underground de poésie et d’art, changeant souvent de format, du petit fascicule au journal, de 12 pages à 140…

Voyez le côté délirant de ses thématiques : « le gouvernement occulte » « les désespérés des cavernes de miel », « stars » (avec un entretien inédit de L.F. Céline), « spécial BD » présentant les premiers dessins d’artistes devenus ensuite très connus, entre autres l’inventeur du roman graphique Martin Vaughn-James, ou Stéphane Mandelbaum tué à 25 ans. Le nom même de la revue se modifiait en 25, Mensuel 25 ou 25 Mensuel. Des centaines d’auteurs/artistes de toutes tendances y ont publié pour la première fois. 152 numéros parus, dont certains doubles ou triples et ils ne sont pas tous épuisés. Bien qu’installée en territoire wallon, elle publiait à l’international et fut présentée au premier Marché de la Poésie de Paris, dans la cour de la Bibliothèque de France. D’où son public et ses auteurs souvent parisiens.

En ouvrant un ancien numéro du début 1990, une chose me surprend : une cinquantaine de revues se trouvent répertoriées dans cette livraison. Elles bénéficient toutes d’une note de lecture et d’un bref descriptif. Depuis, il y a eu des phases d’avancée et de retrait mais le foisonnement (c’est bien le mot) demeure. Et l’on peut en trouver, paraissant encore en 2017 comme Verso, DOC(K)S, Offerta speciale (Italie)…
J’ai participé à 4 revues et fondé 3 d’entre elles. Ce qui m’a attirée, et m’attire toujours, c’est la diversité des écritures contemporaines, réunies sous le mot générique et plus ou moins revendiqué de « poésie ». Les artistes, collagistes, dessinateurs surtout y sont associés comme le font souvent les créateurs de revues.

Bien sûr, les tendances se sont affinées, l’écriture dite du quotidien et même le surréaliste ante- ou post-Breton ont (eu) des moments d’oblitération. Le poème en prose tient moins la route, le roman se sert de la poésie pour avancer… Mais un sculpteur d’objets surréalistes comme Biraben (Toulouse) tient toujours la route.

Faire une revue c’est créer un collectif à chaque fois différent, sans se soucier des individualités, les auteurs qui publient en revue sont des personnes généreuses et ouvertes, celles qui ne souhaitent publier que des livres ont parfois un moi (ego dit-on) plus développé.

Les participants à une livraison pour peu qu’ils soient en partie réunis pour une lecture ou un Salon de la revue ou du livre forment vite un petit groupe amical qui échange impressions, conseils et e-mails.

Je me suis retrouvée éditrice alors que j’étais, au fond, une directrice de revue, ou une « ambianceuse » comme dit une des traductrices du dernier numéro de l’Intranquille.

Le mot me plaît, car à la fois il fait référence à la vie de groupe (« mettre l’ambiance »), sous-tendue par de la musique, et aussi un parfum qui englobe. À une discothèque en même temps… Même si violon ou saxo accompagnent volontiers les lecteurs.

Tout cela serait bien futile si on ne faisait pas attention à cet état de fait : la solitude du créateur dans une société marchande et de plus en plus libérale. Écarté de tous, et parfois même de sa famille, considéré comme rêveur ou fou, tels ces auteurs du Maroc et de la Côte d’Ivoire qui n’imaginaient pas pouvoir vaincre le scepticisme de leur entourage : l’un Khalid El Morabethi, étudiant au Maroc, car il va publier son premier livre en France à 22 ans (avec des illustrations de Cyrille Roussat qui n’a jamais publié avant, « un joyeux duo par dessus la Méditerranée » dit Pierre Le Pillouër) ; et l’autre Ismaël Savadogo, car il est invité en résidence à Paris alors qu’il lui était difficile de vivre étudiant en philosophie et poète sous les arbres d’Abidjan.

C’est agréable et parfois surprenant de voir avec quelle joie les écrivains reçoivent une lettre qui reconnaît leur travail et propose une édition parmi d’autres, même si ce sont juste quelques pages, parfois à peine deux. L’importance de cette « reconnaissance » m’a toujours été un vecteur pour continuer à pratiquer l’édition comme une tentative de nage maladroite dans une mer hostile. Et surtout face à l’édition traditionnelle, la création d’un véritable « monde parallèle ». Pas marginal. Où est ce monde ?

La société actuelle nous semble inquiétante, tournée frénétiquement vers l’argent, les « winners », indifférente à la culture, la littérature, la poésie. L’artiste se redresse dans une vérité parfois pathétique, il n’arrive pas toujours à être fier, il se trouve « chanceux » s’il expose ou publie, il n’a pas les bons mots ; en réalité il ne comprend pas où se placer. Car si une revue, une plaquette (où son nom apparaît en couverture) est posée sur une table, personne n’y fait attention… dans la famille ou parmi les collègues…

Rejoindre la tribu, passer outre, garder le secret. Des théoriciens ont tenté de dire cela et même les poètes eux-mêmes, Baudelaire et l’albatros, Mallarmé…

L’esprit grégaire doit agiter les poètes, ils ont à se réunir en vol pour s’élancer…

Bref historique

Glissements de revues en revues : j’ai choisi et saisi les textes et les thèmes de la revue 25 ou M25 pendant 12 ans en Belgique. C’était avec une petite équipe autour de Jacques Izoard qui lui-même proposait des « numéros spéciaux » ; j’y ai rédigé des critiques, puis créé la revue Archives devenue une collection de mes éditions (nouvelles de l’écrivain surréaliste Gisèle Prassinos, Lettres posthumes de Jacques Izoard, Correspondance de Claude Pelieu –traducteur des auteurs de la beat generation–, premier collectif d’Architextes, réunissant des écrivains expérimentaux, etc).

Ensuite la petite revue Chroniques errantes où je publiais des chroniques personnelles, vite transformées en Chroniques errantes et critiques revue de poésie, d’art et de critiques de livres et revues, qui a directement donné depuis 2011 la revue de littérature L’Intranquille, semestrielle. Davantage diversifiée, on y lit des traductions, de nouveaux auteurs, des critiques et un panorama de livres et revues parus récemment. Un dossier est proposé aux poètes pour chaque numéro (Le triple A, poésie italienne, argentine, femmes iraniennes, Servitude Volontaire…) ; il renforce le sentiment de participer à une création collective dont je parlais plus haut.
Françoise Favretto

L’Atelier de l’agneau est la maison d’édition de toutes ces revues dont on trouvera les collections entières dans deux conservatoires de revues à Lyon et à Carmaux www.arpo-poesie.org/revues_recentes (ou revues_actuelles)

également avec dépôt légal des bibliothèques de Bruxelles et Paris.

Et sur les sites www.atelierdelagneau.com

https://chronercri.wordpress.com/lintranquille