Les revues attendent leur quart d’heure !

Vous le savez peut-être – peut-être, même, y avez-vous participé d’une façon ou d’une autre –, le 10 mars dernier s’est déroulée l’opération « Un quart d’heure de lecture ». Un peu partout en France, certains établissements scolaires mais aussi certaines collectivités et entreprises ont interrompu leurs activités à 10 h pile pour, quinze minutes durant, permettre à chacun et à chacune de s’adonner à la lecture, qu’il s’agisse d’une lecture de leur choix ou de bouquins mis à leur disposition, dans les deux cas généralement des romans. Pff !, ricaneront certains qui ne verront dans cette action de sensibilisation à l’importance de la lecture qu’un énième dispositif culturel gadget. On peut voir les choses sous cet angle, bien sûr ; ou choisir de les voir autrement et se dire que toute démarche servant la cause de l’imprimé, fût-ce ces quinze petites minutes de lecture montre en main, n’est pas tout à fait inutile. Et l’auteur de ces lignes de s’interroger, comme ça, en passant : à quand un quart d’heure de lecture de revues ? Sur ce même modèle d’opération, ne pourrait-on pas en effet à l’avenir valoriser les revues, les mettre en avant, en pleine lumière et en vedette ? Pour ceux qui en sont déjà familiers, cela permettrait de partager leur centre d’intérêt avec d’autres qui ignorent tout ou presque de cet univers. Vraiment, ce serait là une bonne occasion de favoriser la découverte de tout un pan de la culture – car les revues, depuis le temps, forment patrimoine –, de tout un monde de créativité et de diversité – car les revues sans cesse se réinventent, forme et fond. On imagine la scène : des gens qui, toutes affaires cessantes pendant un quart d’heure sanctuarisé, se mettraient à tourner les pages des mille et une revues mises à leur disposition dans n’importe quel espace public ; ils les ouvriraient au hasard, les consulteraient avec une totale disponibilité d’esprit avant d’en lire un passage, en lecture mentale ou à voix haute. Ceci fait, peut-être cela leur donnera-t-il l’envie de s’y replonger plus avant une autre fois, de prolonger l’expérience un peu plus tard, dans un moment de temps libre…

 

 

Et tant qu’on y est, on se prend à rêver encore plus – mais oui, soyons fous – d’un quart d’heure de lecture de revues… de poésie. Voilà qui serait encore plus original ! Voilà qui serait une initiative hautement hardie ! Mettre non seulement la revue à l’honneur, mais dans le même temps aussi la poésie. Lire des revues de poésie, quelles qu’elles soient : projet doublement audacieux. Et puisqu’on est là à soliloquer tout haut, voyons même encore plus grand : ne serait-il pas possible d’instaurer un jour par semaine ce quart d’heure de lecture de revues de poésie ? On nous dira : « Là, monsieur, vous poussez le bouchon un peu trop loin ! Un peu de mesure, enfin ! Et la productivité, et les affaires courantes, et le cours de la Bourse alors, vous n’y pensez pas ! » Bon, bon, rétropédalons, c’est sans doute exagéré, le fait est. À défaut d’envisager à un rythme hebdomadaire pareille expérience, eh bien révisons à la baisse nos ambitions et tablons, périodicité plus raisonnable donc plus acceptable, sur un jour par mois au moins… Qu’on permette aux uns et aux autres de feuilleter des revues de poésie ne serait-ce qu’un petit quart d’heure mensuel nous semble déjà très bien. Il faut bien commencer par quelque chose, et cette modestie c’est toujours mieux que rien… À certains, qu’on entend d’ici se gausser, ces rêvasseries paraitront certainement saugrenues et on veut bien endosser le ridicule qu’il y a à les formuler noir sur blanc. Mais jusqu’à preuve du contraire, on a bien le droit de rêver un peu, non ? Au réalisme, nul n’est tenu !

 

Anthony Dufraisse