Réglé au millimètre

 

 

 

Le goût prononcé pour la précision mathématique de La Poste* – ne disons plus service public postal, on oubliera bientôt la majuscule – touche à la perversion.

Il y a quelques jours, d’une université de Casablanca, nous recevions tout fiers – ce n’est pas si souvent – une commande de 5 numéros anciens de La Revue des revues. On empaquette avec soin non sans avoir dressé la facture. Comme à chaque fois se pose la question des frais de port. Les prendre tout entiers à notre charge, histoire de marquer notre reconnaissance? Les estimer grossièrement pour ne pas assommer le destinataire sans ruiner l’expéditeur ? C’est la solution que nous adoptons : marchandise, 83,50 €, frais d’expédition, 4,50 €. Une sous estimation assumée qui fait rouler les boucles : 88,00 €.

Là-dessus tout guilleret, direction le bureau de poste. Suspicieux, le guichetier examine, soupèse, estime : c’est bien gros. Il sort un instrument encore inédit à mes yeux en cet endroit – un pied à coulisse sans coulisse – qu’il tente de glisser sur le volume de l’enveloppe. Ça résiste, il s’en faut bien de 1 ou 2 mm : fatale ceinture ! Et alors ? « Mais alors, monsieur, puisque ça dépasse, ça dépasse, vous devez l’envoyer en Colissimo. » Punaise, pensai-je, remplir le bordereau et refaire la queue…Mais pour une vente pas si commune doublée d’une destination rare, le Maroc, figeons le sourire. Arrive le moment de la pesée : 1,960 kg et le verdict : 21,05 €. 21,05 ! Près du quart de la valeur de l’envoi. Si j’avais su…

Les piécettes s’effacent devant la carte bleue.

Sur le chemin du bureau, je rumine (faudra-t-il refuser les trop grosses commandes ? Les servir non sans une mise en garde – « ça va vous coûter cher, très cher, vous y tenez vraiment ? », provisionner dans notre budget annuel des frais postaux équivalents – inclus le service des abonnés – aux coûts d’impression ?) et accompagnant les noms d’oiseaux dont je la gratifie, je m’inquiète pour l’économie mentale de La Poste: tout en se chagrinant de la baisse du volume de courrier, elle « met le paquet » pour précipiter sa fuite. 30 nuances de masochisme et 1 mm ou 2 de plus pour garrotter revues et petits éditeurs.
Ah, si la poste se montrait aussi admirablement pointilleuse dans la précision de son acheminement, son étreinte nous paraitrait peut-être moins étouffante !

 

* Depuis le 1er janvier, La Poste applique une tarification Colissimo à tout paquet de plus de trois cm d’épaisseur quel que soit son poids.

 

André Chabin