Une promenade mélancolique

Les mauvais jours passés, je décidais, en ce printemps tardif,  d’aller faire une ronde dans les bibliothèques de la Ville de Paris à la recherche des revues littéraires : beaucoup de librairies étant souvent très pingres en la matière, j’ai rêvé que les bibliothèques étaient leur refuge naturel. Non, pas de texte à caser, mais l’envie de prendre le pouls de la littérature telle qu’elle s’invente, là, dans ces revues qui en accueillent le corps polyphonique. Et puis, n’est-ce pas une des missions les plus périlleuses d’Ent’revues que d’indiquer à l’amateur où il peut trouver les revues d’aujourd’hui ?
58 bibliothèques publiques à explorer, 2 700 titres à effeuiller. De quoi assurément rassasier ma curiosité.
Je n’allais pas être déçu : en fouillant catalogues et rayons, je pus débusquer le nombre faramineux de  12  revues de création littéraire.
Au moins pouvais-je espérer que dans cette pêche sans miracle scintillent des pépites, miroitent des revues pleines de jeunesse, d’audace, d’originalité dans leur forme comme dans leurs choix éditoriaux.
Hélas, les filets avaient été relevés depuis longtemps : pas une revue qui ait moins de 10 années dont l’une au regard torve de trépassée, La Revue littéraire (1)*. Quant à cette autre, beaucoup comme moi l’avait cru perdue (La NRF – 4). En fait, je n’étais pas aux abords d’un vivier mais d’un conservatoire.
Dans ces rayons désertés, une révélation de poids: aucune revue littéraire ne s’était créée depuis tant d’années ou à tout le moins aucune qui vaille**. La gamine née en 2002,  c’était Siècle 21.
La poésie, surtout, avait de quoi s’inquiéter : avec la disparition d’Action poétique (3) en 2012, aucune autre revue ne relèverait-elle le défi de la poésie ? J’ai eu beau revenir sur mes pas : non, pas un exemplaire de Po&sie, l’autre vénérable. Et alors la poésie ?  Mais si, Décharge (1) ! Ah bon, Décharge ?

Les bibliothèques de la Ville de Paris  nous aiment petits,  ne nous voient pas grandir. Elles nous veulent toujours enfant nous ébattant sous les propositions de magazines de lectures au point de ne pouvoir choisir. Youpi (21) ! D’ailleurs, n’est-ce pas la revue qui fait des contes à nos oreilles qui est presque la mieux lotie : La Grande Oreille (6) ?
Devenus lecteurs avisés, on nous met au régime. Mais un régime vitaminé grâce au travail critique : Le Matricule des anges (14) et La Quinzaine littéraire (12).  Dans l’abondance des magazines de critique proposée, la seule véritable revue du genre se signale par son absence : CCP.
Affamé au bout de mes déambulations, mu aussi par l’envie d’être dans l’air du temps, j’ai opté pour la gastronomie : je me suis repu de Cuisine et Vins de France (31)

De retour chez moi équipé de Elle décoration (17) et de Maison française (9) – les idées de réaménagement de son chez soi étant fortement prescrites en cas d’anémie littéraire – une ou deux mauvaises pensées me vinrent :
Si les bibliothèques doivent s’efforcer dans leur mission de service public de satisfaire la demande de leurs usagers pourquoi est-ce celle des amateurs de chevaux (Cheval Junior, Cheval Magazine, Cheval pratique, Cheval Star) qui est satisfaite et pas la mienne ? Avec cet arrière plan quasi existentiel : mais, bon sang, pour qu’il  y ait une demande, il faut bien que, quelque jour quelque part,  il y ait eu une offre, non ?
Et l’autre qui me ramenait à mon travers littéraire : combien d’écrivains dont les bibliothèques portent le nom n’ont-ils pas fait leurs premières armes en revues ou n’ont-ils rêvé de publier dans les plus prestigieuses de leur époque ? De quels noms d’écrivains les bibliothèques d’après-demain seront-elles signées et quelles revues d’aujourd’hui ignorées les auront vu éclore ?

Foin d’amertume. De faibles lueurs au nord de Paris. Deux revues qui forment en elles-mêmes des bibliothèques : La Femelle du requin (1) qui, numéro après numéro, enregistre les voix et les œuvres des écrivains contemporains et une revue-monde sans équivalent, Conférence (1).
Et la  petite  constellation Europe (7)***. Bref, quelques étoiles dans un ciel buté.

A.C

* les chiffres entre parenthèses indiquent le nombre de bibliothèques qui propose la revue.
** à moins qu’un nécessaire « désherbage » n’ait modifié la biodiversité…
*** les revues qui ne sont pas nommées dans ce texte : Algérie Littérature/action (1), L’Infini (1), Présence d’esprits (1) fanzine consacré au fantastique et à la science fiction.