Cahiers Benjamin Péret

par François Bordes
2013, in La Revue des revues no 49

 Voici des cahiers de derrière les fagots. Depuis 1963, l’Association des amis de Benjamin Péret fondée par André Breton poursuit contre vents et marées son travail de défense, mémoire et illustration d’une œuvre qui continue d’échapper à tous les filets, crocs et pièges de la critique. Avec la complicité des éditions Éric Losfeld et José Corti, l’Association se chargea de publier les Œuvres complètes du poète. L’entreprise n’alla pas sans difficulté, ni sans remous – et l’on se souvient encore de la volée de bois vert que le quatrième tome reçut de la part d’Annie Le Brun. Mission accomplie désormais : le septième volume, avec index général et bibliographie du même nom, est paru en 1995. Loin de s’assoupir, les animateurs de l’Association lancèrent alors un bulletin, Trois cerises et une sardine, où furent publiés de nombreux inédits dont on annonce la réunion en un volume qui viendra compléter les Œuvres complètes. Il existe sans doute des Associations moins actives que celle des amis de Benjamin Péret…
Sous la houlette de Gérard Roche et de Jérôme Duwa, voici donc maintenant la première livraison des Cahiers Benjamin Péret. Élégamment mise en page, alternant les feuilles bleues et blanches, la revue est richement illustrée de dessins, peintures et photographies. Ni « revue de spécialistes » ni « organe d’adeptes inconditionnels », les Cahiers sont ouverts à la création et à la recherche contemporaines.
L’ensemble est structuré en dossiers, en publications de correspondances, en études et documents. La rubrique « Potlatch » offre à un ami de Péret un espace libre. Pour ce premier numéro, le poète et plasticien argentin Alejandro Puga donne « jardins et scandale », un poème à la mémoire de Benjamin Péret. Le numéro se clôt par près d’une trentaine de pages d’actualités : comptes rendus de publications, de DVD, d’expositions et d’événements divers autour de Péret. La revue rend enfin hommage aux amis de Péret et du surréalisme récemment disparus : Jorge Camacho, Don Lacoss, Michel Boujut dont Dominique Rabourdin esquisse un portrait sensible.
Le premier dossier est consacré au recueil poétique le plus connu de Péret, Le Grand jeu. Dans leur texte d’introduction, Jérôme Duwa et Gérard Roche le replacent dans son contexte de parution. En effet, la même année que Le Grand jeu, Breton publiait Nadja et Aragon Le Traité du style, tandis que paraissait la revue éponyme du groupe de Daumal et Gilbert-Lecomte. Le dossier rassemble les éléments de la « querelle poétique » provoquée par le recueil de Péret. Le Grand jeu, en effet, aurait « tracé une ligne de partage dans le champ littéraire » entre les révolutionnaires du langage et « ceux qui veulent préserver une conception esthétique et raisonnable de la poésie » (p. 9). Est particulièrement visé ici Jean Paulhan – coupable d’avoir publié dans La NRF une note de lecture où Gabriel Bounoure démolit le livre. On retrouve celle-ci aux côtés de l’article à la fois élogieux et critique de Joë Bousquet paru dans Les Cahiers du Sud. Le dossier s’enrichit de différentes pièces d’archives liées à l’affaire, comme des lettres d’Éluard ou un brouillon d’un incendiaire projet de réponse de Péret à Bounoure. Il est vrai que ce dernier avait classé Le Grand jeu en bonne place sur « la liste des tristes imbécillités écrites suivant une méthode surréaliste » (p. 12). Mais le dossier ne se concentre pas uniquement sur la querelle. Alain Paire offre une brève mais riche étude sur « Joë Bousquet, le surréalisme et Les Cahiers du Sud » (p. 17-21). La figure d’un autre admirateur de Péret, Mandiargues, apparaît enfin, et l’ensemble se termine avec son texte « Le temps comme il passe Benjamin Péret », admirable hommage paru peu après la mort de l’auteur du Grand jeu.
La revue propose ensuite un dossier consacré aux « compagnons d’armes de Benjamin Péret en Espagne » (p. 30-49). Il constitue une véritable plongée au cœur des combats du Poum et situe bien l’action de Péret au sein de ce Parti révolutionnaire antifasciste et antistalinien. L’entretien avec Mary Low, poète et militante trotskiste, évoque très bien l’atmosphère et l’esprit de ce moment crucial et enfiévré de l’histoire du XXe siècle européen. Elle participa avec Péret aux combats du Poum et, avec son compagnon le poète Juan Bréa, elle en tira un livre salué en son temps par George Orwell, le Red Spanish Notebook. Sa « Chanson pour Andrès Nin » (p. 48) pourrait figurer au répertoire des airs révolutionnaires.
La correspondance entre Benjamin Péret et Pierre Mabille (p. 52-73), présentée et annotée par Richard Spiteri apporte un éclairage intéressant sur les années d’exil de Péret à Mexico pendant la guerre – et les difficultés, les obstacles qu’il rencontre alors. Les cinq missives échangées entre Péret et Daniel Guérin sont par contre assez décevantes et le lecteur risque de rester sur sa faim. Il s’agissait de soutenir deux amis militants emprisonnés en Espagne : Grandizo Munis et Jaime Fernandez Rodriguez. Bien sûr, ce sont des documents qui montrent Péret activiste, en quête de fonds pour défendre ses camarades. La question valait la peine d’être creusée sans doute et l’on regrette que ces échanges soient publiés de façon isolée. Choisir un angle plus large aurait peut-être permis de mieux éclairer la facette « militante » de Péret. Enfin, parmi les études, Virginie Pouzet-Duzer consacre une contribution à Remedios Varo, le grand amour du poète. Claude Courtot s’intéresse de son côté au rapport de Péret aux Romantiques allemands.

De Novalis à Mandiargues en passant par Bounoure, Bousquet, Mabille et Munis, ces Cahiers Benjamin Péret permettent de se replonger dans une œuvre, un esprit et une époque de liberté incomparable. Plus de cinquante ans après sa disparition, grâce à ces amis, la parole reste à Péret.

La Revue des revues no 49


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