Jef Klak

Critique sociale & expériences littéraires

par Valérie de Saint-Do
2015, in La Revue des revues no 53

Jef Klak n° 1L’« autre revue »

 

Ils ont frappé fort, pour un premier jet, mûri de longue date, il est vrai.

Plus de 300 pages de « critique sociale et expériences littéraires » assorties d’un disque de création sonore. C’est le premier opus de la revue Jef Klak, publication de l’association Marabout, qui donne à ce premier numéro son titre et marque originalement sa présence sur les deuxième et troisième pages de couverture. Originalement : c’est un adverbe bien fade pour désigner les audaces de ce pavé éditorial qui ne se refuse rien, ni dans les sujets, ni dans les formes.

Mais qui est donc Jef Klak ? « L’homme de la rue », en flamand, annonce l’éditorial, l’équivalent de notre madame Michu. Nom générique pour un collectif à géométrie variable qui, annonce-t-il, s’est attelé à construire une pensée commune. Avec une priorité : ne pas redire.

Aucun risque. La dernière fois que l’on a pu avoir en main un objet éditorial aussi dense, aussi inédit, qui vous laisse un bon moment coincé dans l’impossible alternative de la boulimie fiévreuse de filer l’article ou l’image suivante ou de la lente et gourmette dégustation des contenus, c’était avec L’Autre journal de Michel Butel. Sans parier sur les âges des capitaines de Jef Klak, quelque chose dans les éditoriaux laisse penser que cette référence est pourtant pour eux du jurassique. Au demeurant, si à travers les années ces deux objets présentent des affinités évidentes, leur différence n’en saute pas moins aux yeux : même s’il agrégeait des plumes passionnées, L’Autre journal était le journal d’un homme, tandis que pour Jef Klak, le collectif (indépendant de tout groupe de presse et de tout marché y compris publicitaire) est point de départ et éthique du devenir. Et nous avons bien là affaire à une revue, non à un journal, où sans cesse l’actualité affleure au fil des images, des textes, des entretiens, des BD sans jamais être l’objet de la publication.

 

Marabout, annonce donc le premier numéro comme le premier dossier de la revue où sont convoqués miracles, sorcellerie, zombies, apparitions, envoûtements, illusionnistes. L’équipe renouerait-elle avec le vieux mot d’ordre de Réenchanter le monde ? Inutile, il n’a jamais été désenchanté et seul un fou, un trader, un économiste ou un mandarin de l’Université pourrait croire à sa rationalité. « Marabout » explore la croyance, délestée de tout surplomb d’arrogance vis-à-vis de ceux qui s’imaginent envoûtés, partent en pèlerinage à Medugorje, sur les traces de l’apparition de la Vierge en Bosnie, ou entendent les voix. On lira avec passion, à cet égard, les entretiens avec les anthropologues Élisabeth Claverie et Jeanne Favret-Saada, qui réellement tourneboulent nos préjugés et perceptions, et qui au travers de leurs recherches sur les apparitions pour l’une, sur la sorcellerie pour l’autre, interrogent aussi les fondamentaux de l’ethnologie et de l’autre comme « objet » de recherches. Finement, obstinément, ce chantier nourri démonte les représentations dominantes : tant celles des « superstitions » pour lequel l’homme moderne doté du capital culturel n’éprouve que mépris que celles des croyances qui leur ont succédé – imminence du transhumanisme ou monde merveilleux de l’impression 3D. « Le prix du progrès » comme nous le rappelle la toujours stimulante Isabelle Stengers à propos des sorcières néo-païennes et de la science moderne…

 

Revue d’exploration de la pensée et revue de création, le thème dominant de la revue se voit satellisé de variations « hors thème » : chroniques musicales, cinématographiques, « bade-déclinées », « Comics », de traductions d’entretiens passionnantes comme la « Vie et œuvre de Jaroslav Hasek » (l’auteur anarchiste et alcoolique tchèque du Brave soldat Chvéïk), un extrait de Berlin AlexanderPlatz d’Alfred Döblin… Et bien sûr, les portfolios sur des sujets aussi divers que la Bourse de Paris, les nouvelles architectures d’églises après-guerre, la Grande dépression en Californie. À citer les découvertes page après page, on risque la redondance ou le catalogue pour un objet qui semble avoir piqué à Peter Brook sa devise : « Le diable, c’est l’ennui ».

Jef Klak a annoncé son second numéro pour avril 2015 : le « Bout d’ficelle » sur les tissages, tissus, textiles, succèdera en toute logique absurde de la chansonnette au « Marabout »…

D’ici là, parce que faire des pavés ne leur suffit apparemment pas, on peut aussi prolonger les grandes découvertes sur leur site : www.jefklak.org.

 

Coordonnées de la revue


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