Contre-attaque

Union de lutte des intellectuels révolutionnaires 1935-1936.

Que fête-on tous les 21 janvier ? L’exécution capitale de Louis XVI, « l’oeuf mal couvé » (Péret), place de la Concorde. Ainsi, le 21 janvier 1936, le groupe Contre-attaque annonce une réunion où interviendront Georges Bataille, futur fondateur d’Acéphale, André Breton, chef de file du mouvement surréaliste, et Maurice Heine, grand connaisseur du Marquis de Sade. Sur le tract, une tête de veau tranchée et présentée sur une assiette, annonce la nature du débat : les trois orateurs prendront la parole sur les 200 familles les plus riches censées contrôler l’économie française et relevant donc de la « justice du peuple ». Le propre des groupes révolutionnaires est de maintenir envers et contre tout une croyance qui demeure séduisante : qu’une solution expéditive peut seule rédimer la réalité catastrophique.

 

Depuis le début des années 30, au temps du Second manifeste du surréalisme et du tract Un cadavre, Breton et Bataille  avaient apparemment établi leurs quartiers à bonne distance l’un de l’autre, échangeant insultes définitives et traçant des limites infranchissables au sein de la communauté mouvante de leurs amis.

 

 

Mais l’angoisse politique et morale devenue pressante impose de surseoir à ces querelles pour fonder une union nouvelle, capable de faire face intellectuellement à la menace nationaliste bien vivace en France depuis février 1934 et celle, déjà établie, en Italie et en Allemagne. Le Front Populaire a peut-être élevé une « digue », mais pas un véritable rempart ; compte tenu du danger de la situation, il convient sérieusement de contribuer à l’armer. Quelque 70 intellectuels anti-capitalistes vont unir leur pensée pour réfléchir à une autre tactique contre le fascisme, l’ « idiotie patriotique » et la guerre qu’il charrie automatiquement derrière lui. Leurs idées peuvent inquiéter les âmes habituées à la modération consensuelle : « fanatiser » les foules, mettre un terme à « l’ennui » politique et établir violemment, par la grâce de la rue, un Front Populaire de combat. Les grèves massives de mai-juin 1936 ne mettront pas exactement en œuvre ce programme.

 

Sur la question d’une nécessaire « communauté fraternelle », Bataille et Breton vont naturellement s’entendre, jusqu’à ce que la maladroite formulation d’un « sur-fascisme » (Jean Dautry), comme dépassement hegelien du fascisme, brouille à nouveau le jeu. Mais comme le souligne justement Michel Surya, on ne peut que reconnaître ici, à travers ces documents heureusement rassemblés, la concordance de vues sur l’essentiel entre Bataille et Breton : le recours à l’excès, au mythe bouleversant est nécessaire pour refonder une société qui cherche manifestement à se perdre.

 

Cette élégante édition propose tous les documents complémentaires à l’unique Cahier de Contre-Attaque et offre ainsi un accès facile aux pièces majeures de ce dossier.  Ce volume constitue en outre le premier de la collection « contre-attaque » des éditions Ypsilon. Il n’est pas mauvais de reprendre l’inventaire des ripostes intellectuelles ; cela nous change un peu de la déploration compassionnelle des agenouillements…

 

Jérôme Duwa

 

« Contre-Attaque » Union de lutte des intellectuels révolutionnaires 1935-1936, Georges Bataille, André Breton, Préface de Michel Surya ; Paris : Ypsilon éditeur, 152 p., 15 €.