François Kasbi, lecteur de revues

Revoici Kasbi, notre gargantuesque ami ! Survoler la table des matières – quinze pages tout de même – de la nouvelle édition de son Bréviaire capricieux de littérature contemporaine donne le vertige. Que de lectures en vingt ans, que de pages dévorées ! Car François Kasbi dévore les livres avec un formidable et insatiable appétit. Comme nous tous ici, non ? Un peu plus encore, dirais-je. Sa curiosité pour tous ceux qui font profession d’écrire, et parfois œuvre, est débordante. Après les quelque 500 pages de l’anthologie Matulu que j’ai eu l’occasion d’évoquer l’année dernière dans La Revue des Revues, les 600 pages de cette somme illustrent de nouveau son infinie gloutonnerie. Réactualisation de l’édition première sortie en 2008, y sont réunies ses « lectures choisies et élues », comme il dit en préambule, de la période 1998-2018. On y trouve l’essentiel de ses chroniques sur l’actualité littéraire publiées dans divers journaux, des Inrocks à L’Express, de La Quinzaine au Figaro, entre autres. Aujourd’hui, ici, on se contentera surtout, logique, de signaler seulement quelques-unes des pages que François Kasbi consacre aux revues…

 

 

Dans l’ordre d’apparition, citons d’abord Max-Pol Fouchet à l’origine de la mémorable revue Fontaine (1939-1947). Plus loin, ce sont différents numéros des Cahiers Octave Mirbeau que Kasbi feuillette avec un plaisir visiblement toujours renouvelé. Plus loin encore, il est question de Guy Goffette à travers La Mémoire du cœur, chroniques données à La NRF entre 1987 et 2012, « où la poésie à la délicatesse s’allie », souligne Kasbi. Après Fontaine et en cette même époque des sombres années 40, mentionnons aussi le texte qui porte sur Les Lettres françaises et Les Étoiles, toutes deux géographiquement situées et mises en miroir. La première, initiée par Jacques Decour avec Paulhan et Aragon, était à la zone nord, alors occupée, ce que la seconde, impulsée par le même Aragon secondé par Sadoul et Prévost, était au Sud. Les Cahiers naturalistes sont mêmement passés dans les mains de François Kasbi. Et en particulier une livraison traitant de Lucien Descaves qu’il décrit comme « un intercesseur, un passeur et un homme généreux » (ne pourrait-on pas d’ailleurs lui renvoyer le compliment, en ces mêmes termes très exactement, à lui, Kasbi ?). Il est également question des Rues de ma vie, de Bernard Frank, l’un des chouchous de l’auteur, on peut bien le dire. « Une bibliothèque sans Bernard Frank, cela ne ressemble à rien », écrit-il à raison. Les Rues de ma vie, donc : un recueil de chroniques commandées par la revue Urbanismes et Architecture entre 1989 et 1992, Frank faisant alors quelques infidélités au Nouvel Observateur. Et puis il y a aussi une lecture des Études greeniennes (Julien Green, qu’on ne lit plus guère aujourd’hui et dont, soit dit en passant, je recommande vivement le Journal au long cours).

 

De même passeront sous les yeux de Kasbi Les Cahiers François Mauriac ou le bulletin L’Amitié Charles Péguy. À propos de ce dernier, j’apprends, et c’est assez surprenant, qu’un soir de mai 1973, la première chaine de télévision (à l’époque ORTF) diffusa en prime time, comme on dit aujourd’hui, une émission consacrée toute entière au centenaire de la naissance de… Péguy. Si, si, Péguy ! Et Kasbi de commenter à juste titre : « Cela paraît inconcevable – c’était il y a trente ans, l’ancêtre de la Star’Ac en quelque sorte. » Disons plutôt The Voice pour être au goût du jour. Et enfin, pour terminer ce trop rapide survol, on ne doit pas oublier une recension portant sur Le Cahier de L’Herne spécial Victor Segalen (Segalen dont Kasbi salue à cette occasion l’œuvre « incommensurable ») ou cette autre, dans les toutes dernières pages de cette somme, signalant une publication des Cahiers Jean Tardieu qui consiste en un catalogue de dédicaces envoyées au poète par d’illustres ou de jeunes écrivains au fil des années. Mais j’y pense à l’instant, au moment de conclure : ce Bréviaire, n’est-ce pas précisément une sorte de dédicace, au sens fort du mot, c’est-à-dire une consécration de la littérature sous toutes ses formes ?

 

Anthony Dufraisse

 

François Kasbi, Bréviaire capricieux de littérature contemporaine pour lecteurs déconcertés, désorientés, désemparés (Les éditions de Paris, 596 pages, 22 €)