Journaux de guerre, guerre de journaux

 

Si mon buraliste-vendeur de presse* ne l’avait pas mis en bonne place près du comptoir, sur la pile des invendus de début d’année, je ne l’aurais sans doute pas vu. Quoi donc ? Mais ce très bel album, un hors-série Géo-Histoire et mieux que ça, même, un collector, intitulé Journaux de guerre 1914-1918 et 1939-1945. Présentation grand format (30 x 23,5) et généreuse (plus de 200 pages), reproduction en fac-similé soignée, cette publication rassemble des centaines de journaux français parus pendant les deux boucheries mondiales, pardon : conflits mondiaux. En regard des organes officiels, tous acquis on s’en doute aux gouvernements du moment, il y a ceux réalisés ici par les poilus et là, plus tard, par les résistants. Des feuilles artisanales s’il en est, fruits de la bidouille et de la débrouille, et qui contredisent chacune à leur manière, celle-ci sérieuse ou celle-là légère, la propagande des gazettes autorisées. « J’ai choisi de faire la part belle à ces journaux rares et peu connus à cause de leurs conditions de fabrication et de diffusion. Beaucoup moins lus que les autres, ils apportent un souffle, une liberté de ton et des informations très bienvenus », écrit dans son avant-propos Benoît Prot, à l’origine de ce projet. L’homme est plus qu’un simple très bon connaisseur de l’histoire de la presse (une espèce en voie de disparition) : c’est un papivore amateur de trouvailles, un coureur de fond de ventes aux enchères, un collectionneur de pépites et de trésors ! (Sa collection personnelle avoisinerait les quelque 30 000 exemplaires dont les plus anciens spécimens remontent au milieu du XVIIe siècle, paraît-il.) Cette publication richement illustrée et ponctuée de brefs éclairages contextuels mérite donc qu’on s’y arrête. Surtout, à l’heure où Maurice Genevoix fait son entrée au Panthéon, pour la période de la Grande Guerre ; ces messieurs les poilus, du fond de leurs tranchées ou de leur campement improvisé, jouaient avec inventivité les gratte-papiers. Entre deux assauts à la baïonnette, les rédacteurs de ces feuilles de chou nées dans la boue font assaut d’humour noir, de poésie, de chansonnettes et de récits de vie. On découvre ainsi, par exemple, toute une série d’Échos : des marmites, des gourbis, des guitounes ou du boyau.Il y a aussi, parmi tant d’autres, les inspirés L’Obus de confiance, La Vie de château, Le Char avance et raille, La Cage à douilles ou Le Tortillard – ce dernier sous-titré « humoristique, tragique et climatique ». Tragi-comique, oh oui : quand on pense à la situation, terrible, qui fut celle des soldats de la Première, on se dit que c’est miracle que ces imprimés soient parvenus jusqu’à nous. Bref, on recommande expressément cet album aux lecteurs de revues dont on sait qu’ils se montrent souvent curieux, pour ne pas dire friands, des imprimés de ce genre, véritables miroirs de l’Histoire.

 

Anthony Dufraisse

 

* … et, à l’occasion, de vin – « pour dépanner les soiffards du coin », dit-il.