Marc Crépon à l’honneur

 

 

Ils ont donc voté le 29 novembre dernier, et c’est à Marc Crépon que leurs suffrages sont allés. Daniel Arsand, Monique Borde, Michel Braud, Blandine de Caunes, Béatrice Commengé, Colette Fellous, Gilbert Moreau (président) et Robert Thiery, les membres du jury du Prix Clarens du journal intime* attribué en partenariat avec la revue Les Moments littéraires, ont plébiscité le Journal de Moldavie (Verdier) tenu par le philosophe à trois décennies d’intervalle : d’abord en 1987-1988, puis en juillet 2022. Trente-cinq ans séparent en effet les deux période d’écriture de ce journal. Quand il le rédige à la fin des années 80, Marc Crépon est alors coopérant dans le pays qui est encore un territoire de l’URSS. Cette expérience d’expatrié fait de lui un observateur privilégié. Lui qui fera des questions de violence le fil conducteur de ses travaux de recherche, il prend la mesure de l’emprise soviétique sur la société moldave, dont pas un pan n’échappe à l’œil de Moscou. La population vit sous surveillance et sous perfusion (pour mémoire, le pays proclamera son indépendance quelques années plus tard, en août 1991). De retour sur place à l’été 2022, et tandis que la guerre dans l’Ukraine voisine fait rage et ravive des peurs ancrées de longue date dans la conscience moldave, il décide de reprendre un temps ce manuscrit mis de côté. Le contexte a changé mais la menace russe plane toujours…

 

Ce journal a semble-t-il fait forte impression sur le jury puisqu’il l’a emporté par 7 voix contre 1 pour les Lettres d’À l’Est d’Eden. Journal d’un roman, de John Steinbeck (Seghers). Les deux autres titres en compétition sur la short-list finale, sur lesquels aucun vote ne s’est porté, étaient Le journal d’une résidence sur une plantation de Géorgie, 1838-1939 de Fanny Kemble et, dans un tout autre genre, le Journal 2003-2011 de Richard Millet. Tant qu’on y est, autre lecture de Marc Crépon fortement recommandée dans le prolongement de son journal moldave : L’héritage des langues (Fayard). Il s’agit d’un séminaire que l’intéressé a donné à l’ENS en 2020-2021 et qui actualise un écrit de Jacques Derrida (Monolinguisme de l’autre). Dans un contexte européen de tentative d’instrumentalisation politique de la langue, il y réfléchit aux conditions de l’affirmation d’une différence linguistique – le français ici, tout aussi bien que, là-bas, l’ukrainien ou le moldave – sans céder au nationalisme, sans verser dans une logique d’appartenance identitaire…

 

Anthony Dufraisse

 

* Dont la dotation est de 3 000 euros.