« Généreux réciproque »

Hommage à Philippe Chainial

Philippe Chanial à Caen en février 2018 © CC BY 2.0/Jérôme Laurent

 

 

HOMMAGE À PHILIPPE CHANIAL (1967-2024)

 

 

Le monde des revues a perdu un ami, un camarade, un frère.

 

Philippe Chanial est mort mercredi 11 décembre. Il avait 57 ans.

 

Sociologue, penseur du politique, il était devenu rédacteur en chef de La Revue du Mauss à laquelle il appartenait depuis longtemps. Il y a une poignée de jours encore, au téléphone, il me parlait du prochain numéro et nous faisions notre petit tour d’horizon habituel sur la partie littéraire et culturelle de la rubrique « Ricochets » qu’avec Alain Caillé, ils m’avaient confiée. Oui, Anne Mulpas nous donnera une de ses chroniques de Ciel-qui-lit, oui Pop superette revient pour nous parler de Stone et Charden, et puis Benoît Vincent va nous faire un herbier musical tu vas voir ça, et aussi Patrick Marcolini causera de Charbonneau, et moi tu sais je t’ai parlé de ce bouquin formidable Parias, sur Hannah Arendt à Paris.

 

Philippe encourageait, se régalait d’avance, lançait, relançait, s’amusait. Faire une revue comme on monte un groupe de rock ! Et il enchaînait : pour les notes de lecture faut continuer sans s’arrêter et demander, discuter avec Julie, Alain, Jean-Paul, Anne-Marie, Sylvain, Stéphane, Fabien, Jean-Marc, Jérôme, Dick, Charles et aussi le petit jeune là, Quentin, il écrit bien, il a plein d’idées, faut pas hésiter. Il y a tellement de choses passionnantes à lire…

 

En quelques lignes tant de prénoms : Philippe liait et reliait ; il était au cœur d’un monde vivant, il était le cœur d’une certaine idée de la vie et de la responsabilité intellectuelle. Le choc de sa disparition est immense, profond.

 

 

Joie savante et créatrice, goût de la pensée vivante, amitié et humour guidés toujours par le souci du vrai et du juste. Par-dessus tout l’envie de faire, de donner, de se donner. Et il donnait beaucoup : à la revue, à ses amis, à ses étudiants. Il trouva heureusement le temps d’écrire quelques livres dont le dernier, Nos généreuses réciprocités, paru chez Actes Sud en 2022, servira de guide à qui souhaite « tisser le monde commun ».

 

Sous son impulsion La Revue du Mauss, passée aux éditions du Bord de l’eau, s’était transformée. Nous l’avions présentée au Salon de la revue il y a deux ans. Parallèlement, Philippe avait poursuivi sa brillante carrière universitaire. Après de fertiles années à l’université de Caen-Normandie où il poursuivait une longue et forte tradition de sociologie et pensée politiques, il avait été élu professeur à Paris-Cité. En octobre, il avait organisé un colloque sur Miguel Abensour ; j’avais pu alors écouter mon ami transmettre sa pensée et son savoir. Avec lui je discutais au téléphone ou de temps à autre dans son appartement de la rue des Croisiers, ce havre de paix au cœur du centre historique de Caen, à la terrasse de cafés comme l’Épicurien ou, à Paris, chez Coquille. Ce jour-là, en l’écoutant parler devant une soixantaine d’étudiants, je découvris combien Philippe Chanial, sociologue, penseur, revuiste, lecteur, musicien et rocker, appartenait aussi à la lignée des très grands professeurs de la république – savants, modestes et généreux.

 

Nous sommes nombreux et nombreuses à pleurer.

 

François Bordes