« Quel avenir pour les revues de sciences humaines ? »

« Quel avenir pour les revues de sciences humaines ? » La Une de Livres Hebdo (n° 1247, 24 janvier 2020) posait récemment cette question  récurrente. L’inquiétude est ancienne et dans le monde des revues – et tout particulièrement à Ent’revues, elle suscite de nombreuses réflexions, idées et débats. Ces interrogations sont aujourd’hui particulièrement vives, à l’heure où certaines revues sont en grève (voir le « Journal des idées » de Jacques Munier sur France Culture sur le sujet)

 

Le dossier de l’hebdomadaire favori du monde du livre et de l’édition paraissait en prélude à la journée d’études organisée le 27 janvier à la Bibliothèque universitaire des langues et civilisations (Bulac). La journée était consacrée à la communication d’un rapport et quatre études consacrées à l’économie des revues françaises en sciences humaines et sociales. Elle marquait aussi « l’aboutissement d’une mobilisation des éditeurs privés de l’édition de revues inquiets des conséquences de la loi « République numérique » de 2016 . On retrouvera ces précieuses enquêtes ici.

 

 

 

Dans son grand article de Livres Hebdo, Hervé Hugueny brosse un tableau général de la situation, donnant quelques chiffres clés produits par le Comité de suivi de l’édition scientifique. La France compte ainsi 1.700 revues de sciences humaines et sociales, dont 450 diffusés sur Cairn et 525 sur OpenEdition (majoritairement en accès libre). Avec les revues de sciences, techniques et médecine, le revenu moyen des 367 revues étudiées s’élève à 20100 €. L’ensemble des plateformes de diffusion de revues scientifiques (intégrant Elsevier, plateforme payante) correspond à un volume d’affaire de 35 millions d’euros. L’étude réalisée à la demande du Ministère de la culture permet ainsi de quantifier et de mesurer les choses – et de mieux comprendre les enjeux des mutations à l’œuvre.

 

L’économie de ce secteur se déploie désormais dans le cadre de la Loi République numérique de 2016 qui incite les chercheurs à déposer une version numérique de leurs publications sur la plateforme ouvertes HAL (Hyper Articles en Ligne) dans un délai de 6 à 12 mois après publication. Très actif sur le sujet, le Ministère de la recherche a parallèlement lancé en 2018 un « plan national pour la science ouverte ». À l’échelle européenne, un plan « S » vise à rendre obligatoire à partir de 2023 le libre accès à toute publication financée sur fonds public.

 

Ces transformations d’une économie spécifique ont beaucoup inquiété les éditeurs privés de revues dont la mobilisation, soutenue par des chercheurs, a abouti à un plan de soutien de l’édition de revues (16,4 millions d’euros sur 5 ans) et à la création du Comité de suivi de l’édition scientifique. La journée d’études et le rapport remis le 27 janvier 2020 a permis de dresser un premier bilan de ces actions menées pour mieux connaître les enjeux, soutenir les revues et favoriser le dialogue entre privé et public. Pour le président du Comité de suivi de l’édition scientifique, Daniel Renoult, si l’édition de sciences humaines « n’est pas dans une situation catastrophique », elle n’a cependant pas encore « trouvé de modèle économique soutenable ». La disruption numérique et l’open access ont transformé cette économie savante, qui constitue aussi une écologie de la production  et de la diffusion des savoirs.

 

L’article d’Hervé Hugueny se termine en soulignant la vitalité et la diversité du secteur – qui témoignent d’un dynamisme persistant (on se réjouira en particulier de voir cité en conclusion de l’article l’exemple de La Revue des revues). Dans le stimulant entretien du dossier de Livres Hebdo, François Gèze souligne ainsi que la fragilisation de ce maillon indispensable que constitue la revue aura des conséquences néfastes sur la production savante et « la diffusion de la pensée française ». Président de Cairn, du groupe universitaire du SNE et membre du Comité de suivi de l’édition scientifique, l’ancien PDG de La Découverte rappelle d’ailleurs la « particularité française » dans un monde académique où la majorité des pays « n’ont plus d’édition académique de sciences humaines dans leur langue nationale ». On mesure ainsi l’importance de l’avenir des revues et de la diffusion des savoirs en sciences humaines, domaine où, comme le dit François Gèze, « la bibliodiversité est essentielle ».

 

François Bordes