Algérie Littérature / Action : André Breton, le surréalisme et l’Algérie

 

La revue Algérie littérature/Action nous offre un passionnant numéro spécial (201-204) consacré aux relations du groupe surréaliste avec l’Algérie et des études sur quelques artistes et écrivains qui ont rejoint le mouvement. Je parlerai en premier du dossier sur le groupe surréaliste et son influence en terre algérienne, alors, il ne faut pas l’oublier, faisait partie intégrante de la France avec ses trois départements. La première intervention des surréalistes en relation avec le Maghreb est de caractère politique : ils sont engagés contre la guerre du Rif, visant à réprimer les tribus menées par Abdelkrim, d’abord contre les Espagnols, puis contre les Français, quand il a créé sa République du Rif au Maroc. Cette guerre a commencé en 1925. Les troupes françaises étaient commandées par le maréchal Pétain et celles de l’Espagne par Primo de Rivera. Elle s’est achevée un an plus tard avec la défaite et puis l’exil d’Abdelkrim à La Réunion. Louis Aragon, André Breton, Robert Desnos signent avec d’autres personnalités un manifeste qui paraît dans les colonnes de L’Humanité. Le groupe surréaliste est dès lors foncièrement anticolonialiste et publie un manifeste au vitriol contre l’exposition coloniale de Paris en 1931. Pendant la guerre d’Algérie, il prend encore le parti des insurgés et s’engage sans détours pour l’indépendance de l’Algérie. Il est évident que ces prises de position ne pouvaient que renforcer les liens avec les intellectuels et artistes algériens. Mais ce n’est pas la seule raison de cette bonne intelligence.

 

Certains artistes se reconnaissent dans les idéaux du surréalisme et les traitent avec beaucoup de soin, démontrant une grande originalité. C’est le cas de Baya (née à Port-de-L’Eau en 1931, non loin d’Alger, décédée en 1998), la plus connue d’entre tous. Elle expose à la galerie Maeght en 1947 et un numéro de la revue Derrière le miroir lui est consacré avec une préface d’André Breton et des écrits de Jean Peyrisac et d’Emile Dermenghem. Elle connaît à Paris un succès indéniable. Et elle s’impose aussi dans son pays. Elle a eu une rétrospective au musée des Beaux-arts d’Alger en 1963. Son style naïf (mais encore faudrait-il nuancer cette formule désormais trop vague), teinté d’onirisme a une saveur inimitable et plonge aussi ses racines dans la culture populaire de son pays. Ses compositions sont désormais considérées comme étant l’une des plus belles expressions de l’art algérien de la seconde moitié du XXe siècle car sa manière de créer son univers est absolument unique. Jean Sénac (1925-1973), né lui aussi en Algérie, dans la région d’Oran, poète (on le surnommait le « poète qui signait avec un soleil »), journaliste à la radio, ami intime d’Albert Camus, fondateur en 1943 du cénacle des « Poètes obscurs », créateur de la Galerie 54 en 1964 a entretenu des relations étroites avec Baya et lui a dédié un poème. De nombreux articles rendent ici justice à la femme extraordinaire qu’a été Baya et à son œuvre.

 

Manifeste contre la Guerre d’Algérie, DR

 

L’auteur de Nadja, comme le rappelle Marie Virolle, directrice de la revue, s’est intéressé à une autre femme artiste d’Afrique du Nord, Taos Amrouche (1913-1976) d’origine kabyle. Elle a été la première femme algérienne à avoir publié un roman, Jacinthe noire (paru en 1947). Elle était aussi chanteuse et a revisité les chants traditionnels de la Kabylie. Autre figure importante du surréalisme de l’autre côté de la Méditerranée, Henri Kréa, né en 1933 à Alger de père français et de mère algérienne, journaliste à Paris, s’est dédié à la poésie toute son existence et il s’est montré un fervent défenseur de l’Algérie indépendante (il a rédigé plusieurs déclarations politiques et s’est engagé dans la lutte pour l’indépendance). Il a écrit une vingtaine de volumes, dont Liberté première paru en 1957, a écrit en 1960 la Révolution et la poésie et a fait paraître un roman en 1961, Djamal. Il a aussi collaboré à la revue dirigée par Arturo Schwarz (poète, grand collectionneur des œuvres surréalistes et directeur de galerie à Milan) Front unique, (n° 2, 1960).En conclusion, on peut comprendre qu’il y a eu des liens dans le temps entre les surréalistes et l’intelligentsia algérienne, mais pas de liens profonds comme par exemple avec les artistes et poètes tchèques pendant les années trente. Mais nous découvrons par ce biais que le petit monde qui a entouré André Breton n’a jamais été indifférents au sort des créateurs de nos protectorats et cette Algérie que nous avions enlevé aux Ottomans en 1830. Le grand nombre de témoignages, d’écrits critiques (Alain Joubert, Jean-Jacques Lebel, Anna Bonayed, Falida Yahou, etc.), de poèmes, de reproductions et de manifestes, de coupures de presse, d’archives nous permet d’avoir, au fil des pages de cette revue, une vision d’ensemble très riche de ce qu’ont été ces passages (dans cette perspective le long et intéressant essai d’Habid Tengour est absolument fondamental).        

               

Avec toute cette riche documentation, les éditeurs d’Algérie Littérature / Action pourrait songer à en faire un livre en augmentant bien entendu le nombre de photographies, de tableaux et de dessins reproduits et en incluant un choix poétique plus large. Il faut donc saluer la qualité de ce numéro spécial qui nous fait à la fois découvrir un aspect méconnu du surréalisme (son influence sur des auteurs de langue française qui n’ont pas eu de rapport direct avec ses grands protagonistes) et un pan de la culture moderne de l’Algérie du siècle passé.

 

 Gérard-Georges Lemaire*

 

*retrouvez Gérard-Georges Lemaire dans La Revue des revues : Les partis pris de L’Ennemi (no 49), Wyndham Lewis, de Blast à The Enemy (no 31)