Célébrations d’Oblivion

Tous mes dictionnaires sèchent lamentablement. Ni mes Larousse, petit ou grand, ni mon bon vieux Littré et pas plus mon fidèle Robert historique de la langue française (comme quoi, Alain Rey n’est pas incollable) ne disent quoi que ce soit du mot oblivion. Terme issu du vieux français signifiant oubli en langue anglaise, comme nous le rappellent les inséparables Goulven Le Brech et Pierrick Hamelin, Oblivion donne donc son titre à cette nouvelle revue annuelle. Inséparables, oui, parce que le duo anime déjà Entre les vagues, blog dont cette revue est en quelque sorte l’émanation papier. Si elle se présente comme philosophique et littéraire (et pour le numéro inaugural, plus poético-littéraire que proprement philosophique), cette revue est avant tout une revue d’atmosphère. C’est là d’abord son charme et son originalité – car non, la chose n’est pas si fréquente – d’assumer un penchant certain pour la contemplation. « Ces petits moments de contemplation, quel qu’en soit le lieu, exhaussent à son plus haut degré l’intensité de la vie en elle-même », écrit Hamelin dans un des deux textes qu’il signe dans cette livraison fondatrice.

 

 

Conçu tout en sobriété par une jeune maquettiste dénommée Justine Vernier, ce premier numéro (format carré, papier glacé, typo élégante qui passe insensiblement du bleu au noir) a pour fil conducteur la brume de mer. À cet horizon se dessine une géographie plurielle des sentiments et des sensations. C’est, dans l’ordre d’apparition, Denis Grozdanovitch, en voyage sur une île grecque, qui voit la « gueule vorace de l’oubli » derrière le masque de l’euphorie. C’est, exhumé de l’année 1909, un trop court texte de Geneviève Bianquis, captivée, depuis les falaises du Havre, par le défilé féérique, au large, des « vaisseaux-fantômes ». C’est Pierrick Hamelin méditant, au contact de la mer toute proche, sur la question du secret, ce secret qui fait qu’une vie ne ressemble jamais à une autre. C’est Goulven Le Brech, en pèlerinage sur les traces de la fratrie Powys, dans les terres du Dorset. Esprit de famille, encore, avec cette fois Gilles Le Brech qui nous emmène dans les confins du Morbihan, à Penvins, langue de terre ventée que votre serviteur connaît fort bien pour avoir quelques attaches dans le coin. C’est encore le grand Jules Michelet, de passage à Granville, pas encore la Normandie, plus tout à fait la Bretagne. La contemplation des flots peut rendre fou, nous dit l’auteur de La Mer, dont cet extrait est issu… De longueurs très variables, les textes sont entrecoupés de photos et surtout de citations (John Cowper Powys, Jules Lequier, Robinson Jeffers, Cocteau…), comme autant de stations incitant, on y revient, à un état méditatif. Mieux : elles sont, dirait-on, comme ces avancées sur les falaises, où l’on embrasse le paysage dans toute son étendue, et d’où l’on peut communier tout à fait avec les éléments et s’oublier l’espace d’un court instant. Échos du passé ou chuchotements des vivants, les voix éclatées d’Oblivion tentent, célébrant le moment présent, le vif du temps, de retarder l’œuvre, inexorable, de l’oubli.

 

Anthony Dufraisse