Amy Clampitt dans Rehauts

 

Lire une revue de poésie oblige à un temps particulier, à une concentration. Parfois, on se rend disponible et on accueille une voix, une langue qui, soudainement, s’impose.

 

Le numéro 42 de Rehauts, revue admirable qui a fêté il y a quelque temps son 20e anniversaire, propose des pistes, des chemins – on pense à la sinuosité à demi-effacée de celui de Gracq –, pour y découvrir quelque langage qui trouve un écho en soi, qu’il nous réplique ou nous perturbe.

 

Amy Clampitt

 

Et l’ouverture de cette livraison est impressionnante, c’est le moins qu’on puisse dire ! Un long poème d’Amy Clampitt, poète états-unienne née en 1920 dans l’Iowa qui porte une livraison de facture soignée que ponctuent de très beaux dessins de Claude Briand-Picard et de Pierre Mabille. Je l’avoue d’emblée, je ne connaissais pas Clampitt dont le poème, exploration de l’état migraineux, déploie des éléments de l’existence qu’entrecroisent des lectures, des figures esthétiques, compagnons dans l’écriture. Et finalement d’une forme de douleur, tenace, continue. Il s’y constitue une communauté et un partage.

 

Aux côtés d’une élite

            dans l’étau de la même couronne splénique :

Dorothy Wordsworth, George Eliot, Margaret

Fuller, Marx, Freud, Tolstoï, Chopin, Lewis

Carroll, Simone Weil, Virginia Woolf :

            un assemblement de teintes,

d’ancêtres et de meilleurs amis qui avaient tous passé par cette dure école. 

 

 

Son « Anatomie de la migraine » – traduit par Gaëlle Cogan et Calista McRae – est construit sur une dichotomie fondatrice qui se réplique tout du long de ses deux parties. À la fois réflexion sur la voix, son énonciation, l’élaboration de la parole poétique, et méta-poésie qui se cherche des miroirs, des compléments, le poème se tient remarquablement, équilibré et puissant. On y est tout à la fois du côté du saisissement, de l’éclat, et d’une véritable continuité narrative. Cette plongée dans le corps et l’esprit, comme entreprise par un même élan. Et c’est probablement cette concomitance de la description extraordinaire de la corporalité et d’une sorte d’aventure spirituelle et artistique qui frappe le lecteur. C’est dans le corps, par ses manifestations, que la vie intérieure devient possible, que l’intellect se déploie. La sensitivité, la matière et l’idée se reflètent ainsi d’une manière bouleversante. Car c’est sous « une couronne d’artères calottée », dans ce « creux peuplé de fissures, de déclivités, de buissonnements arborés, d’appariements et de degrés » que naissent la vie, l’idée, la morale, la conscience, « tout cela enfermé dans une coquille de noix ».

 

 

Amy Clampitt écrit, assurément, une grande poésie de la conscience. Difficile de construire un numéro après une ouverture si impressionnante. On trouvera, comme dans chaque numéro de Rehauts, des textes qui, par leur hétérogénéité, leur refus de l’école, leur diversité et de formes et de démarches, forment une sorte de tissu qu’il faut parcourir, comme un doigt passé sur des étoffes. On lira des poèmes de Fabienne Raphoz, de Franck Doyer, d’Henri Droguet, de Pierre Mabille, de Laurent Cennamo, de Maurice Benhamou et d’Yves Boudier. Deux proses s’y intercalent, signées de Mina Sürgen et Mathieu Nuss. Une sorte de panorama du dissemblable. Comment construire un numéro, donc ? En le faisant s’achever sur un texte consacré à Franck Venaille disparu à l’automne dernier, il fait comme une boucle, esquissant un reflet au poème d’Amy Clampitt. La lecture que propose Jacques Lèbre de Requiem de guerre (Mercure de France) revient sur une œuvre atypique, qui elle aussi cherche infiniment l’altérité. Comme en duel, on lira ces vers, qui pourraient répondre à l’Anatomie… :

 

Vous me frottez le crâne puis les tempes pour en chasser les démons et vous dites

simplement que la nuit sera longue et que je dois me recoucher paisiblement.

 

 

Hugo Pradelle