Expérimentations splendides, comme son nom l’indique

Il y a les revues attendues, parution au long cours, titre et contenu de concert, et puis il y a les autres, qui surgissent comme oiseau de feu dans le paysage de papier, prennent de suite leur envol, la malle pleine d’images et d’émoi, la ligne de conduite qui ressemble à une ligne de fuite, les idées qui fusent de partout. Expérimentations splendides va dans ce sens si l’on peut dire, et annonce la couleur dès la photo de couverture : ce sera ramage qui se rapporte au plumage !

 

 

Regardez le résultat de cette expérience baptisée « Primitifs », qui met en situation des élèves en CAP (mode, blanchisserie industrielle, restauration…). À eux de saisir la perche que leur tend le photographe Benoît de Carpentier, fabriquer des portraits mémoriels et poétiques : « Plus tard, après l’expérience, certains parlent de honte, de malaise, d’autres de puissance et de force. L’un dit qu’il s’est cru chasseur, celui-là qu’il était quelqu’un d’autre. Qu’il se sentait sauvage, que c’était bien. » Voyez encore les images parfaitement inidentifiables du projet « L’ouvre monde » (Joseph Gallix et 5 jeunes patients du service cardiologie de l’hôpital Louis Pradel de Bron + des élèves de la cité scolaire Élie Vignal de Caluire-et-Cuire) : ce sont murs qui tout à coup se réveillent, objets qui bougent, tuyaux qui dansent, machines qui rêvent…

 

Il en va de la photographie, dans Expérimentations splendides, comme de ces vêtements que 24 élèves de Bac Pro interrogent, ou plutôt font parler, dans « Couches de souvenirs » (avec Naohiro Ninomiya) : matière à fiction ils sont, bouts de soi ils donnent à entendre. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la plupart des projets convoquent les mots à la suite des images, continuant ainsi le travail « d’une mémoire individuelle impalpable » : « J’étais là, parmi les autres. J’étais posé sur une table en plein soleil, attendant que quelqu’un me remporte et trouve ainsi une personne digne de me porter. Je me souviens de la chaleur, de l’impatience à rencontrer le gagnant de la course. Lorsque celle-ci arriva, une sensation de liberté. Je me souviens qu’une personne, petite mais rapide, me prit dans ses bras et m’enfila. Il m’avait gagné, il ne voulait plus me quitter. » (Geoffrey)

 

Rendre compte, dans une revue, d’expériences collectives de ce genre n’est pas chose aisée. Il faut marier l’éternel et l’éphémère, laisser imaginer ce qui a eu lieu, donner à voir ce qui reste. Voilà pourquoi l’édition d’un livre « fait maison » accompagne souvent les œuvres, rendant lisible et visible, de l’intérieur, le travail de création.

 

Le lecteur/regardeur se souvient sans doute d’un essai, sous la direction de Pierre Bourdieu, qui eut quelque retentissement dans le mitan des années soixante : Un art moyen, pour ne pas le nommer. Y était déconstruite une certaine mythologie de la photographie amateur, en même temps qu’affirmée une aspiration collective à une culture dite populaire. On dirait qu’Expérimentations splendides prolonge heureusement cette idée : en avant l’art photographique comme moyen ! de rêver, de penser, de s’évader (comme dans le très réussi « J’étais loin de m’attendre », réalisé par Fabienne Swiatly et Benoît de Carpentier à la Maison d’arrêt Lyon-Corbas en juillet 2017).

 

Expérimentations splendides est une revue adossée à l’association Stimultania, qui œuvre depuis plusieurs années à la transmission et au partage des savoirs par la photographie, une forme d’expérience collective-singulière que ne renierait pas le poète : la photographie doit être faite par tous, non par un… Qu’on se le dise !

 

Roger-Yves Roche