Cas d’école #2 : Bruire

 

Nous poursuivons le compte rendu précédent avec une revue d’élèves.

 

Les Cahiers mésozoaires se donnaient un thème : « Détruire ».

 

Ici c’est le titre même de la revue qui est un verbe. Magie des coïncidences, c’est un des plus beaux titres parmi les ouvrages repérés au Marché de la poésie qui vient de se clore, dont les périphéries se prolongent : Bruissons, de Jean-Guy Coulange, aux Presses du réel, dont l’auteur m’expliquait que ce sont les élèves lors d’une résidence qui le lui amenèrent à la conscience, à la plume : « bruits/sons ». De ce riche mot revenons à la source, à l’infinitif : Bruire !

 

Deux autres verbes le complètent : le travail de Gregory Valton en résidence à l’école de décembre 2020 à juin 2021, propose le sous-titre « Archiver-Traverser ».

 

Il s’agit d’une entreprise collective, très collective, aboutissement du travail d’étudiants en école d’art, mais aussi en communication, épaulés par leurs enseignants bien sûr, et puis par tout un réseau de professionnels, d’intervenants. Jugez plutôt : l’École d’art de La Roche-sur-Yon dans le cadre d’un partenariat avec l’IUT de La Roche-sur-Yon (DUT Information et Communication) avec des classes d’autres établissements secondaires, des ateliers municipaux. Le comité éditorial associé à ce numéro et design graphique rassemble six personnes (Marie, Léa, Emma, Hortense, Mado, Adélie) et la responsable de la publication et coordination est Lisa David. Chapeau Madame ! Chapeau car, nous le savons bien, s’il n’y a pas quelqu’un pour « tenir la maison », déterminer les échéances, établir les calendriers, les plus beaux projets tombent à l’eau. Cinquante personnes, étudiant•es pour la plupart sont créditées ainsi que les élèves de trois écoles, d’une classe de lycée, élèves de cours de dessin et d’ateliers… Et les remerciements dépassent ces cadres : l’Arthotèque de La Roche-sur-Yon, la Maison Gueffier (tiens ! bonjour, Éloïse G.) mais aussi une galerie lyonnaise, un labo-photo et des éditeurs, jusqu’à un label musical !

 

Le risque serait alors une forme de dispersion, de dilution des intentions : eh bien non. Le format certes y contribue, à l’italienne. Les cent-vingt pages de la revue, contenues sous une couverture sobre, graphique et élégante, en noir et blanc, renferment une profusion de propositions colorées, joyeuses, où quelque chose de musical aussi se dégage.

 

 

Tous ces talents vont contribuer à une revue attachante, emplie d’œuvres plastiques répondant aux commandes, aux sujets posés, découpant des chapitres, et souvent accompagnés de textes énonçant le projet ou le point de départ.

 

La première page, avant même le sommaire, nous cite du Rimbaud : c’est osé car, s’il reste le poète de la jeunesse révoltée et géniale, le contrepoint est parfois cruel. Pas ici : il émane de ces pages une générosité accompagnée de textes simples et qui vous prennent par la main dans une mise en page aérée où tout respire, tout « bruisse » de concert. Parfois, cependant, la reproduction laisse peu lire les écritures incluses (p. 112-113). Mais une grande réussite dans ce disparate est que les œuvres des invités sont traitées avec le même soin que celles des jeunes élèves, des apprentis artistes et leur dialogue est plaisant, fécond.

 

L’Odyssée page 58 me fait voir du Alechinsky et Eva Jospin, les tartans (p. 108) irradient de couleurs (faites au Bic® quatre couleurs !)…

 

 

Le charme/drame de la jeunesse est qu’elle ne dure pas : les revues de jeunes, souvent, ne survivent pas aux transformations dans les vies de ses protagonistes qui grandissent, déménagent, bougent : beaucoup de beaux projets ne trouvent pas de suite. Il faut alors une volonté, personnelle et/ou politique, intellectuelle et/ou amicale pour que s’inscrivent dans la durée de telles actions. Nous suivons à Ent’revues le travail effectué à l’IMEC par Bernard Baillaud et le rectorat de l’académie de Caen, amenant des élèves de collèges, de lycées à rencontrer l’archive, point de départ ensuite de création trouvant refuge dans une revue, une publication originale, qui recueille et fixe pour un instant le travail des élèves : un bel objet de fierté lorsqu’ils le présentent au Salon de la revue.

 

Pierre Drogi, poète, traducteur, essayiste, organise depuis 2013 des Rencontres de poésie contemporaine au lycée Racine (Paris) à destination des classes de seconde et de première du lycée et dont les textes d’élèves sont publiés dans la revue Sarrazine.

 

Bruire s’inscrit dans un temps long (aboutissement de deux ans de travail) dans un territoire, dans un réseau tissé de talents, de compétences et – cela se sent – de désirs si denses qu’il serait dommage de ne pas poursuivre l’expérience.

 

Yannick Kéravec

 

La revue, non destinée à la vente, est disponible en ligne, jusqu’en juin 2023 ici.